Qui dit désert dit vie spartiate où l'effort physique - enfin, n'exagérons rien - est compensé par une nourriture saine, abondante et simple. Certes et c'est pour cela justement qu'une gourmandise prend une importance à la mesure du cadre grandiose qui entoure notre solitude choisie:
? C'est une barre de céréales ou de fruits confits à mâcher lors des mini-pauses qui ponctuent la marche. Les dernières seront partagées en parts de plus en plus réduites. Pour chacun une bouchée d'énergie, que dis-je, une hostie de fraternité.
C'est une orange maltaise, avec sa feuille encore souple parfois accrochée à la tige, toute fraîche des nuits passées dans le grand couffin tressé. On la savoure quartier par quartier, à demi allongé sur une dune, à l'heure où l'on peut encore tutoyer le soleil avant qu'il n'entre en majesté.
C'est, au dessert, une assiette de dattes naturelles, charnues, fondantes. Rien à voir avec leurs consoeurs d'exportation, bronzées à l'excès, pasteurisées, collantes de sucre, calibrées, sagement alignées en épis dans leurs barquettes de polystyrène. Non, ici elles sortent encore sur leurs tiges d'un grand sac de toile et sont parfois offertes en dessert supplémentaire par un chamelier blasé d'en manger toute l'année, cadeau prélevé sur la récolte familiale. Choucrane, Ryad, choucrane. L'assiette circule de main en main, chacun grapille au passage. Encore une, la dernière. Vœu pieux. Trop bonnes! comme disent les enfants.
Mais il arrive aussi d'authentiques surprises:
C'est, peu après son arrivée, quelques mots de Béatrice, assise près du foyer et se levant d'un bond: « Au fait, j'oubliais, j'ai des chocolats dans mon sac! » Wouah! Des cho-co-lats, ici, près de Bir Aouïne?! Quelques instants plus tard, les doigts plongent dans l'emballage crissant et en retirent de délicieux oeufs marbrés. Pâques avant Pâques, et dans un campement caché dans le Grand Erg. Pas un n'en réchappe et l'on entendrait une gerboise passer.
C'est, un autre soir, François suggérant à son fils Romain - Mano pour tout le monde - de confectionner un gâteau. Mano a appris la pâtisserie dans une grande maison parisienne, mais ici les conditions sont particulières. Il relève cependant le défi et rassemble farine, oeufs, sucre, beurre... Normalement il faudrait du sucre vanillé. Pas de problème: François, comme par magie, en sort un sachet de sa poche. La pâte crémeuse est bientôt versée dans l'unique casserole, cabossée par un vécu intrépide et soudain promue au rang de moule à gâteaux. Il ne reste plus qu'à régler le feu de camp sur le thermostat 7. Tout simple! Bientôt l'air embaume. Mano, silencieux, concentré comme un jour d'examen, surveille la cuisson tandis que chacun y va de ses conseils: « Tourne un peu la casserole. », « Réduis le feu. », etc. Au bout de trente-cinq minutes, le gâteau est jugé cuit et posé à refroidir à l'écart, lorgné par dix paires d'yeux gourmands. Le temps de chanter trois chansons et commence la délicate opération de démoulage. Résultat superbe. Bravo Mano. Et qu'il est bon: bord légèrement croustillant et intérieur moelleux. Les chameliers, souvent méfiants à l'égard d'une cuisine inhabituelle, concèdent que la pâtisserie française se défend, Allah en est témoin. « Prima, mabrouk, Mano. » Super, félicitations.
Nous laisserons toutefois le dernier mot à une gourmandise tunisienne, achetée au passage dans la meilleure pâtisserie de Tataouine, ville dont elle est la spécialité...la corne de gazelle. L'énorme pyramide est devant nous et le vendeur dispose délicatement les gâteaux oblongs et ventrus des merveilles nées du soleil, dans une boîte en carton à ranger entre deux bagages. La fête est pour ce soir, au campement prêt à nous accueillir, où Midani, stoïque au bord de la piste, enveloppé dans son burnous, guette les phares dans le soir qui tombe. Tous ensemble, nous nous lècherons les doigts en parlant du circuit mitonné par Christine et Tahar.
Si, après avoir lu ces lignes, vous avez l'eau à la bouche, il n'y a qu'une solution: boucler un sac, grimper dans un grand oiseau blanc qui vous déposera là-bas, où le soleil fait mûrir oranges, dattes et amandes et où on partage chocolats et gâteaux. Mawid teht nejma, rendez-vous sous les étoiles...

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