Noël au Sahara

Méharée dans le grand erg oriental
À quatre heures de route de Tozeur, grande ville de la région du Jerid, au sud de la Tunisie, il y a Douz. Véritable porte du désert, cette ville est le point de départ de notre marche de trois jours dans le désert.

Là, nous attendent les six chameaux et les trois chameliers qui seront nos guides. Il s’agit pour le moment de charger les chameaux de tout ce dont nous allons avoir besoin pour vivre et dormir dans le désert. Nous n’échangeons qu’une poignée de main avec nos compagnons de route, mais qui a son importance, car ce sont eux qui nous guiderons dans le désert, ainsi nous leur témoignons notre confiance.

Nous voilà partis, à pied, derrière la caravane qui se met péniblement mais sûrement en route. Déjà, la ville de Douze n’est qu’un petit point à l’horizon et nous découvrons alors la beauté de ce désert, au sable blanc et ce ciel d’un bleu incroyable. Très vite nous sommes totalement seuls dans cette immensité blanche. Le dépaysement est total et soudain, et il faut faire preuve de concentration pour ne pas se laisser envahir par ce spectacle éblouissant. On serait tenté de rester là, à contempler, mais il faut avancer car les chameaux ont un rythme régulier et disparaissent rapidement derrière une dune. Il est dur de ne faire que marcher dans ce paysage où à chaque instant la lumière change et avec elle, la couleur du ciel et du sable. Ce qui interpelle aussi c’est le silence qui règne, seul le bruit de nos pas et de notre souffle rythme la marche. Même les chameaux semblent se taire face à cette beauté, comme respectueux de cette force tranquille qu’ils ne font que traverser. Ainsi nous marchons et je cherche le bon rythme à adopter, celui qui me permettra de suivre la caravane sans chercher à la dépasser puisqu’elle finira de toute façon par me rattraper et me laisser derrière elle, régulière et imperturbable. Les dunes découpent le ciel et ne semblent même pas remarquer notre passage. Aux dunes, succèdent des paysages de steppes, où sont éparpillés des buissons secs qu’il faut contourner. On ne peut pas marcher droit, notre chemin se fait de plus en plus sinueux et il est difficile de ne pas perdre la trace de la caravane.

Après deux heures de marche, la caravane s’arrête. Le soleil est au zénith et il faudra attendre qu’il fasse moins chaud pour continuer notre route. Un campement est établi à l’ombre des buissons, j’observe les chameliers qui semblent décidés à préparer un déjeuner. Nous aurons droit à un délicieux pain chaud cuit sous le sable et dans la cendre, ainsi qu’à des pâtes dans ce qui ressemble à de la soupe de tomate et aux fameuses dattes. Le soleil se voile légèrement et c’est alors que l’on se rend compte de la température qu’il fera une fois que le soleil aura disparu et qu’il nous faudra affronter la nuit. Après quelques heures de marche dans de hautes dunes, le rythme de la caravane ralentit et s’arrête enfin à un endroit où nous passerons la nuit. Il est 17h, il faut se dépêcher de monter la tente de berbère  -des couvertures attachées à des morceaux de bois- qui nous protégera de l’humidité, car dans moins d’une demi-heure, il fera nuit. Un feu est allumé au moment même où le soleil se couche, offrant à nos yeux un incroyable spectacle de couleur et faisant place à des milliers d’étoiles. Nous sommes tous réunis autour du feu dans nos djellabas et c’est alors que le dialogue s’instaure avec les chameliers. Il est à peine 21h quand nous allons nous glisser dans nos sacs de couchage glacés et pleins de sable. Mais rien n’altère notre bonne humeur et déjà le sommeil vient et avec lui, plein de magnifiques images du désert. Pendant la nuit, seuls les chameaux et leur bruit si reconnaissable en cette période des amours briseront le silence qui nous entoure.

Premier réveil dans le désert, il est 8h. Le soleil est déjà là et réchauffe peu à peu nos membres engourdis par le sommeil. Quand on marche, on ne réalise le changement de terrain qu’une fois que l’on est entouré de ce paysage à perte de vue et que l’autre n’est plus qu’un souvenir. Après une courte pause, il faut trouver le puits pour abreuver les bêtes. Il n’y a rien autour de nous mais le guide est sûr de lui et nous emmène dans une direction. Peu après, le puits apparaît. Une autre caravane est déjà là et encore une fois on se demande comment elle a pu passer inaperçue dans le paysage que nous traversons comme elle.
Ce sont des éleveurs de chameaux qui venant d’Algérie se rendent à Douz pour vendre leur troupeau lors de la fête du Sahara. C’est alors qu’on se rend compte que le désert est un lieu de passage comme les autres, parcourus par des hommes qui le connaissent par cœur alors qu’il nous paraît presque impossible à nous Occidentaux de nous repérer. Nous les quittons et, après quelques heures de marche, il faut à nouveau dresser le campement car la nuit noire arrive à grands pas et avec elle les heures fraîches. C’est la veille de Noël et nos guides nous gâtent en nous préparant un couscous comme sorti de nulle part, lui aussi. Ce repas finit de nous combler et l’on reste là, silencieux, à regarder le feu qui se tord dans la nuit avec comme fond sonore nos chameaux qui déblatèrent.

3ème jour. La fatigue commence à se faire ressentir dans les jambes, le matin au réveil. Mais l’envie de parcourir à nouveau des kilomètres dans cette beauté est plus forte et l’on se remet vite en marche. Quand on a mis un pied dans le désert et goûté à ses richesses on se sent différent et rempli d’un sentiment de plénitude, on ne se lasse pas de sa beauté et de la force qu’il nous transmet. Le sable est moins blanc que près de Douz, il est plus jaune et tend vers le rouge parfois, et les dunes sont comme des vagues, des petites vagues et puis des gigantesques qu’il nous faut gravir. L’équilibre est mis à mal, parfois on s’enfonce et l’on est comme englouti, parfois le sable est tassé et l’on croit pouvoir relâcher l’attention, et puis soudain le pied s’enfonce de nouveau et devient lourd de sable. La dune nous rappelle sans cesse que nous ne sommes que de passage et qu’il nous faut mériter ce spectacle qui s’offre à nous.
C’est l’heure de la pause de midi, un lien s’est créé entre les guides et nous lors du repas de la veille et je reste avec eux à les écouter parler. Leur langue me berce et même si je n’y comprends rien, je ne me sens pas de trop, cette aventure nous rapproche et nous nous respectons, aussi différents que nous sommes parce que nous partageons un moment, un repas, ensemble. Une nouvelle journée s’achève, j’ai presque oublié qui j’étais, je n’ai pas l’impression de vivre ces journées mais d’être sans cesse spectatrice de ce qui s’offre à mes yeux. C’est un voyage, c’est une marche, mais le désert vous transporte plus loin que là où vos pieds ne pourront jamais vous mener.

Dernier réveil sous la tente berbère. C’est incroyable comme l’homme peut s’adapter. Le sable ne nous gêne plus, il fait partie de nous et du quotidien, l’odeur et le bruit des chameaux nous rassurent. Nous repartons, silencieux et heureux. On se sent utile quand on marche. Nos pieds nous mènent d’un endroit à un autre, c’est avant tout un moyen d’avancer et bien souvent on oublie de s’en servir et l’on ne se doute pas de nos capacités. Dans le désert, il faut avoir des jambes et personne ne peut marcher à ta place. Rien que cette pensée te permet d’avancer. Alors nous avançons, parfois je regarde derrière moi et je sais que j’ai été loin derrière et cette impression me donne le vertige. À ce vertige se mêle le sentiment d’avoir accompli quelque chose puisqu’on voit de nos yeux le chemin parcouru. On se sent enfin un peu digne de ce désert.

Margot Montpezat, 20 ans

Lire l'article paru dans VOYAGES Liberation.fr : http://voyageorigine.liberation.fr/jeunesse-dun-tour-du-monde/meharee-dans-le-grand-erg-oriental

"C'était à Noël 2008, il y avait trois blondes et un monsieur, et nous étions très heureux de notre randonnée.
Merci."

Jean Montpezat

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