Une première journée dans le désert

Ah ! toujours un peu dans le désert, oui.... je pense qu'une partie de moi y restera toujours alors qu'une autre n'y retournera que de temps en temps.

Senti tellement bien, naturel, si loin de toute question existentielle et si proche de toutes réponses ; sage et heureux.

Dans le sable ; cette finesse même que tu respires, manges et bois sans t'en rendre compte, cette soie qui te caresse ou te ponce selon l'humeur du vent.

Après le ravitaillement au souk et une journée de pistes en 4x4 juste ponctuée de contrôles militaires, un homme sur le bord du chemin dans le sable et le vent ; c est un de nos chameliers qui nous attend.

C'est une quasi tempête de sable qui nous accueille ; horizon bouché à 50m, tu apprends vite fait à te protéger la tête avec le chèche. Tous planqués sous la grande tente nomade, je reste avec les chameliers qui préparent le couscous et le thé. Les conditions sont difficiles, le vent assez violent nous enfouis perpétuellement dans le sable, qui s'infiltre absolument partout. (j'en ai toujours dans mes ourlets.) Je commence à me demander où je suis. J'AIME le vent, sincèrement, j'en suis fou. Mais le sable semble dur à supporter si les conditions persistent.

Tu t'attends à ce que le repas croque sous la dent, mais non, les grains sont trop fins !

Enfin avec la nuit le vent tombe. D'un coup. Tous soupirent autour du feu, chaleur et lumière. Un autre thé, quelques dattes et sortie du bendir, percussion d'un demi-mètre de diamètre avec 3 fils métalliques tendus sous la peau, sur le principe d'une caisse claire. S'élèvent alors d'étranges mélopées aux rythmes tertiaires, complexes et subtilement variés. Les chants sont suaves, mélancoliques ou joyeux, emplis de foi ou d'amour. Les yeux brillent, la peau le feu les voix les étoiles les cœurs vibrent à l'unisson ; il fait bon vivre.

Je me couche comblé, mais je n'ai rien vu.

Au réveil j'ai les sourcils circonflexes, la bouche ouverte et 2 billes à la place des yeux : nous sommes entourés de dunes à perte de vue. Lever du soleil, la sensation est indescriptible ; je ne peux maintenant que hocher la tête et hausser les épaules face à mon clavier. J'y étais...

La robsa, la galette, est sortie du sable, sous le brasier, rompue, puis chacun la trempe dans l'huile d'olive et l'harissa, ou l'accompagne soit de Riki (Vache qui rit) soit de bsissa. (pâte de blé, pois chiches, lentilles, sésame, fenugrec, amandes, multitude d'épices et de secrets, huile d'olive, sel et sucre. une boule dans la poche fait le repas des nomades.) Le thé des invités est clair dans un grand verre, celui des hôtes bout avant le lever du soleil, sirop-coup de fouet servi dans un dé à coudre.

On lève le camp, charge les chameaux - qui sont d'ailleurs des dromadaires - et au quart du jour "yallah nemchou !" , "en route", en marche.....direction ? Les touristes et l'initiatrice ont leurs GPS, nos guides, le soleil.

Celui-ci au zénith, une heure de pause. Où ? Ici...Feu, thé, dattes, riki, robsa, oranges, puis contemplation ou sieste. Et "yallah nemchou !" Par où ? c'est pourtant facile, on vient de derrière, on va devant...

Aux trois-quarts de la journée, installons le bivouac. Au creux d'une dune un peu plus haute ou entre deux buissons. Le coin doit être libre de mauvaises influences, d'esprits ou Djinns, farfadets du déserts. Les chameliers savent...

Alors on décharge les chameaux, forme un salon de bagages et couvertures, demi-cercle face au tas de bois suffisant pour la nuit et le matin. Nos hôtes préparent le repas et lèvent la tente ; notre aide a tendance à les ralentir...un disparait sans bruit les yeux rivés au sable, certainement pour poser secrètement un collet.

Généralement les hommes du désert prient cinq fois par jour et toute projection dans le futur est suivie d' "Inch Allah", "si Dieu le veut "; c'est si naturel dans un milieu où si peu de conditions sont contrôlables. Bien sûr les provisions (eau et nourriture) sont déterminées mais le nombre de rencontres avec des nomades et le nombre de partages de notre richesse impossible à prévoir. Et il est impressionnant de constater qu'une vie agréable - et non une survie - est possible avec si peu !

De retour à Heathrow, j'ai plus d'achats français en duty free que de produits du sol africain. Mais les "cadeaux du désert" sont des souvenirs particuliers : trois litres de sable pour me replonger dans sa finesse millénaire de temps en temps, cinq kilos de dattes, un d'harissa et un demi de bsissa, car on s'attache.... une corne de chèvre, des coquilles d'œufs d'autruches et une vingtaine de pointes de flèches en silex, vieilles d'à peine cinq mille ans....( A leur découverte, la comparaison entre la vie des hommes à cette époque et la nôtre est matière à réflexion. Un peu plus je veux dire...) Quelques photos, pâles imitations surexposées, un beau teint qui s'effrite sous l'ongle en deux semaines (oui, surtout à Londres...) mais le plus important reste : ce CALME issu d'une courte vie hors du temps.

Mano.
"Caravane saharienne" - Février 2005

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