Chronique saharienne V : entendre le Sahara

Entendez-vous ce que j’entends?

Les conversations

Avant de partir en méharée, Vincent et moi nous imaginions les habitués du Sahara comme des hommes concis et méditatifs, des ascètes de la parole en quelque sorte, qui en raison même de la vie dans le désert s’était départis du besoin qu’ont tant de citadins, à commencer par moi, de parler.

Et bien nous avions tout faux.

Vraiment tout faux.

Si vous saviez.

Jamais nous n’avions auparavant été mis en présence de personnes à la parole si inspirée. On n’a certes pas compris l’essentiel des conversations de Khalifa, Medani et Edy, mais une chose est certaine : nous les avons entendues! Du matin au soir, nos hôtes discutaient sans arrêt. Sans arrêt! Les seuls moments où ils ne parlaient pas correspondaient aux moments où ils étaient seuls ou aux heures de sieste et de sommeil. Autrement, l’air saharien était empli d’un flot ininterrompu et animé de paroles. Loin d’être irrités par cette jasette contagieuse, nous prenions plaisir à tenter, en vain il va sans dire, de deviner le sujet de tant de débats, de gesticulations et de mots. Car à certains moments, soit plus particulièrement lorsqu’ils parlaient tous en même temps, il nous semblait que nos amis parlaient presque malgré eux, comme, finalement, pour emplir l’assourdissant silence du désert de leur présence toute humaine, toute sociale.

Moi qui croyais avoir une grande gueule, voilà que j’ai trouvé mon Waterloo au milieu des dunes. Qui l’eût cru?

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Le vent

Heureusement pour nous, le vent de la tempête, celui qui balaie le désert et le soulève tout entier dans les airs, n’a pas soufflé pendant notre séjour saharien. Le temps des tempêtes, des dires de Khalifa, débute à la mi-mars et dure jusqu’en mai. Alors, on prie pour être épargné, et si ce n’est pas le cas, « c’est le bordel, mais vraiment le bordel », confesse notre guide.

Le vent auquel nous avons eu droit en ce début de janvier était juste ce qu’il faut de rafraîchissant. Une petite brise hivernale gaie, un souffle sourd mais retenu qui, au cours de la deuxième journée, nous a accompagnés sans relâche, m’obligeant même à conserver mon polar, mais qui, autrement, fit montre d’une tiède timidité. Le murmure du vent qui effleure le sable, tournoie lentement en s’élevant jusqu’à nos oreilles et nous gratifie de son « ououou » grave et profond ne heurte ici aucun obstacle apte à ralentir son cours, si ce n’est nos pauvres appareils photo qu’il vaut alors mieux emmailloter dans un puis un autre sac hermétique.

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Les refrains de Medani - Le bindir et la gasbayah

Les refrains de Medani

Lors des quelques heures que j’ai passées sur le dos du dromadaire de tête de Medani, ce dernier, qui ouvrait la marche devant nous armé de son bâton de marche bien appuyé sur ses épaules, ne pouvait se retenir de chanter. Medani aime chanter. Ça s’entend. Et réciproquement, nous aimions l’écouter fredonner ces airs sahariens de sa voix puissante et enjouée. Medani chante des chansons qui parlent de héros légendaires, d’amours et de mariages, de la lune et du feu. Parfois aussi, il improvisait un air sur le thème de notre journée et, sublimant en paroles rythmées notre quotidien, ne manquait pas de faire rire Edy et Khalifa. « Mabrouk! » (« bravo! »), ne pouvais-je alors m’empêcher de lui dire du haut de ma monture, et cela le faisait inévitablement rire.

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Le bindir et la gasbayah

En plus de posséder une belle voix, Medani est aussi musicien, tout comme son compagnon Edy. Au cours de quelques soirées, alors que nous étions repus et que la chaleur du feu nous abandonnait tout entiers à la paresse, nos hôtes sahariens nous ont ainsi offert de petits concerts improvisés à la fois rythmés, souriants et émouvants.

Medani manie en percussionniste expérimenté son bindir, un tambourin plat large d’environ 35 cm recouvert de peau qu’il a lui-même fabriqué et dont il prend grand soin. Accompagnant de rythmes changeants mais toujours dansants ses airs sahariens, il a pour choriste Edy qui, de sa voix agréablement nasillarde, fait office de choeur inspiré (le hit de la semaine? “Sidi Mansour”, dont nous connaissions quelques paroles). Et lorsqu’une chanson se termine, Edy empoigne parfois sa gasbayah, une flûte de métal qui ressemble à la fois à une flûte à bec sans bec et à une flûte traversière (et de laquelle nous n’avons jamais réussi à faire sortir un seul son, pas même un pfiiiit! faux) et emplit la nuit silencieuse d’un souffle chaud, doux et calme. Cette musique saharienne est sans doute la plus divine merveille que le désert a inspirée aux hommes.

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Les oiseaux - Les glouglous des dromadaires - Les mouches

Les oiseaux

Il y a des oiseaux dans le Sahara ! De petits oiseaux semblables à des moineaux, d’autres au plumage coloré qui ont des airs de pie, des gros corbeaux aussi qui se tiennent à proximité des campements humains où ils s’alimentent à même les restes comestibles.

Lorsque, assis entre deux dunes, au coeur d’un horizon sans limite où ne résonne, à part nos paroles, que le son du vent et le bruit des dromadaires, nous entendons le chant cristallin d’un oiseau résonner, alors notre coeur s’emplit de joie. De la même façon que les oiseaux indiquent aux marins la proximité de la terre, la présence d’oiseaux dans l’erg nous rappelle que cet univers en apparence si hostile est bel et bien un terreau de vie, et que nous n’y sommes pas seuls.

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Les glouglous des dromadaires

Nos comparses en rut n’ont cessé de ponctuer notre semaine de leurs glouglous gluants et profonds, qui semblaient provenir du tréfonds de leurs entrailles. La moindre effluve femelle engendre ce bruit étrange, ainsi que le gonflement de la langue, chez tout mâle qui la sent. Surpris au début, inquiets même la première fois que ce bruit surprenant s’est fait entendre, nous nous sommes rapidement habitués à ce concert apparemment érotique qui, repris en décalage par chacun des 3 mâles adultes qui nous accompagnaient, ressemblait parfois à un canon de Pachelbel surréaliste.

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Les mouches

Lorsque le vent se tait et que le soleil plombe, les mouches emplissent l’air de leur bourdonnement sonore et agressant. Elles virevoltent autour de nos têtes, atterrissent parfois sur nos lèvres et nos vêtements, s’agglutinent sur les naseaux des dromadaires, leur faisant parfois perdre patience, et s’agrippent férocement à tout morceau de nourriture. « L’été, nous dit Khalifa, lorsqu’une certaine plante entame sa floraison, les oeufs de mouches pondus au creux des fleurs éclosent. Il y a alors des mouches partout. C’est pas possible. Ça rend les dromadaires fous, et nous aussi ». Voilà une autre bonne raison de venir au Sahara en hiver. Un chapelet de mouches à merde collé à notre chandail humide, ça s’endure, mais des millions de « bzzzzzzzzzzzzzzzz » incessants dans mes oreilles, très peu pour moi.

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Le silence

La plus belle voix du désert, c’est celle du silence

Lorsque nos joyeux moulins à paroles d’hôtes se taisaient de concert, que les dromadaires s’assoupissaient et que, las, nous n’avions plus rien à dire, alors le silence du désert emplissait nos oreilles de toute sa puissance. Le silence, le vrai, ça s’entend. C’est fort. Ça bouche les oreilles, leur fait presque mal. Et quand ce silence œuvre au creux d’un vaste plateau de dunes, que même l’horizon a peine à embrasser, alors on devient comme intimidé d’être là et on se sent coupable de l’avoir l’instant d’auparavant balafré de nos paroles et de nos gestes bruyants. Le grand silence nous rappelle notre petitesse.

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