Chronique saharienne IV : goûter le Sahara

Vincent et moi sommes unanimes. Les meilleurs repas que nous avons mangés en Tunisie, nous les avons mangés dans le désert. Cela vient certes du talent de cuistot de nos hôtes qui, véritables hommes orchestres, manient aussi bien le bâton de chamelier que le couteau à légumes. Mais cela vient sans doute aussi du fait que manger, ce n’est pas tant mastiquer et avaler des aliments que les préparer et, surtout, les partager à plusieurs. Un bon repas n’est jamais un repas en solitaire. Partout et de tous temps, manger constitue l’un des actes sociaux les plus fondamentaux qui soit. Et partager un repas au milieu du Sahara en compagnie de Khalifa, Medani et Edy a sans doute été notre incursion la plus intime dans les univers tunisien et saharien. Voici donc quelques saveurs sahariennes :

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Les ragoûts - Le sable

Les ragoûts

C’est simple mais ô combien efficace. Un mélange d’agneau ou de légumineuses, de sauce tomate et de légumes (tomates, poivrons, oignons, carottes, navets) auquel on ajoute l’huile d’olive et l’indispensable harissa (sauce piquante au piment rouge) et, au choix, des macaronis (macarouni), du couscous (couscous) ou du riz (rouz). On met le tout dans une casserole, on place la casserole sur un tripode au-dessus du feu, et on laisse cuire doucement pendant 45 minutes, en brassant de temps en temps. C’est tout chaud, c’est parfumé, c’est goûteux et pas mal épicé et, lorsqu’on y laisse ramollir quelques morceaux de khobsa, c’est tout simplement divin.

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Le sable

C’est pas que les habitants du Sahara aiment manger le sable. C’est juste que, tout insidieux et omniprésent qu’il est, le sable est l’ingrédient parasite de tout met saharien : sur la khobsa, dans le ragoût, au fond des verres de thé et de café, au sein des dattes, sur le goulot de la bouteille d’eau. Le sable se faufile dans tout interstice, fût-il comestible ou non. Et quand on le croque, on le reconnaît. Ce petit torieux crépite entre les molaires et empli notre crâne de « kroush kroush kroush » assourdissants. Du coup, on se sent comme les petits oiseaux qui, puisqu’ils n’ont pas de dents, ont un estomac rempli de minuscules cailloux destinés à mâcher la nourriture. Du sable contre les troubles digestifs? Faudrait faire une étude là-dessus.

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Les dattes - La Vache qui rit

Les dattes

Pour notre plus grand bonheur, notre séjour en Tunisie a coïncidé avec la fin de la saison des dattes. Notre guide Khalifa, qui possède une petite palmeraie à Douz, a donc apporté un gros sac de ces précieux fruits. Les dattes de Douz, à la fois translucides et juste ce qu’il faut de sucré, sont les plus réputées de Tunisie. Depuis des siècles, les hommes du désert traînent ces petits fruits sombres et nutritifs dans leur besace et, lorsque l’eau, les vivres et le bois nécessaires au feu se font rares, il n’y a rien de tel qu’une poignée de dattes fraîches ou sèches pour faire le bonheur de son homme et taire un estomac criard. Quant aux noyaux, ils sont broyés et offerts aux dromadaires, qui en raffolent (comme du reste des pelures d’orange).

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La Vache qui rit

Le fromage La Vache qui rit est devenu l’incontournable du petit déjeuner partout au Proche-Orient. De la Syrie au Maroc en passant par la Jordanie, l’Égypte et la Tunisie, ces petites pointes de fromage mou qui ont l’avantage de pouvoir être conservées à température ambiante sont systématiquement servies dans les petits hôtels avec le pain, fût-il pita, baguette ou galette. Notre séjour dans le désert n’a pas sonné le glas de cette tradition toute arabe, si bien que chaque matin, ma khobsa fut recouverte de cette molle substance, que j’ai tout de même de la difficulté à appeler fromage. C’est donc dire que La Vache qui rit a remplacé les fromages au lait de brebis ou de dromadaire hyper compacts, secs et durs décrits par Théodore Monod dans les années 1920-1930. La mondialisation gagne donc aussi le méhariste, qu’il le veuille ou non, ceci avec ce qu’elle a de mieux (le sac de couchage momie) mais, aussi, de pire (La Vache qui rit).

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Les petits biscuits secs - Le thé

Les petits biscuits secs

Nos petites pauses repos du milieu de l’avant-midi étaient agrémentées par l’ingestion, entre deux gorgées d’eau iodée au pas possible (question de protéger nos estomac potentiellement sensibles, nous ajoutions des pastilles purificatrices à notre eau, qui prenait dès lors un goût d’eau... de javel... beurk), de biscuits secs à garniture de chocolat. Vendus en petits cylindres enrobés d’un emballage plastifié, ces biscuits ronds et pas spécifiquement goûteux se retrouvent dans toutes les petites épiceries et dans tous les petits stands de gare de la Tunisie. Leur apparition dans les mains de Medani ou d’Edy faisait la joie non seulement de nos hôtes et de nous-mêmes, mais aussi de nos compagnons bossus, qui avaient eux aussi droit à leur part du rouleau.

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Le thé

C’est le must saharien. Comme au Mali, de l’autre côté du Sahara, le thé se prépare dans une minuscule théière en céramique bleue, à même les charbons. Comme au Mali, on doit en boire trois : un amer, un doux puis un sucré. Et comme au Mali, on n’est jamais pressé de prendre son thé, et on le prépare avec grand soin, conformément à un rituel gestuel pluriséculaire qui semble accompli inconsciemment par nos hôtes. Le thé saharien, ce n’est pas le délicat thé vert en pochettes bien à la mode par chez nous ces temps-ci, ni l’épais et opaque thé japonais, ni le laiteux thé anglais, ni le thé à la menthe et aux pignons servi sur les terrasses de la Méditerranéenne Tunis. Le thé saharien, il est tout petit mais ô combien gaillard, servi dans un minuscule verre hexagonal, hyper chaud mais pourtant avalé en moins de deux. Aime, aime pas, si on t’en offre, tu dis « shoukran » et tu le bois. Et une fois l’arrière goût passé, une fois le gargoton bien enrobé et la langue ébouillantée, tu te sentiras instantanément revigoré.

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