Chronique saharienne III : sentir le Sahara

L’air saharien

Le Sahara en lui-même ne sent pas grand chose en janvier. L’air est frais, glacial même le soir et la nuit, et bien que de petites sueurs fassent surface sur le coup de midi, la chaleur n’est pas assez intense pour attiser tout ce que compte cet univers aride en terme de potentialités nauséabondes. Cette neutralité odorante du paysage se conjugue donc avec sa douceur et son silence. L’air saharien est un délicat abrasif qui dépouille l’esprit de ce qu’il supporte habituellement en trop.

Ceci étant, nos copains dromadaires, qui étaient en rut, ont vécu une situation toute autre. Eux qui peuvent renifler une chamelle 20 kilomètres à la ronde, ils ont visiblement passé la semaine à humer de sensuelles effluves. En témoigna le concert quasi ininterrompu de borborygmes visqueux qui nous était gracieusement offert dès qu’une senteur femelle venait à croiser la trajectoire de leurs naseaux.

Si, pour les piètres senteux que nous sommes, ce Sahara ne sent pas trop, les animaux qui le traversent, dont nous faisons partie, trimballent néanmoins avec eux leur lot d’odeurs, dont les suivantes m’ont particulièrement titillé les narines.

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Les dromadaires

Lorsque mon nez pense au Sahara, il pense aux dromadaires qui, à force de trimballer de chaque côté de leur flanc tous notre attirail, ont enveloppé celui-ci de leur odeur reconnaissable entre mille, un mélange d’urine, de sueur sucrée et de cuir musqué. Au crépuscule, tout sent le dromadaire : la toile de la rugueuse tente berbère, le sable qui, parsemé de myriades de petites crottes rondes, oeuvres de nos bossus compagnons, ressemble à un immense biscuit aux pépites de chocolat, nos sacs de voyage, nos mains, les matelas de sol, les couvertures dans lesquelles nous nous emmitouflons chaque nuit et, lorsque nous nous laissons aller à l’hospitalité d’un dos bossu l’espace d’une demie journée, toute notre personne.

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Le pain ou la khobsa

Les Maures l’appellent kessera, les Tunisiens, la khobsa. Le pain saharien, dont la préparation ingénieuse a été décrite par Théodore Monod dans les années 1920 déjà, est toujours préparé de la même manière et donc, toujours aussi bon et délicieusement odorant. Voici la recette, qui, au Québec, peut être faite dans le carré de sable le plus près de chez vous (un pit de sable ferait aussi l’affaire, ainsi que la plage Germain, mais je sais pas si on a le droit... ma soeur, tu tenteras ta chance cet été et tu nous tiendras au courant) :

1.Allumer un feu de bois séché et de broussailles dans le sable et attendre que le combustible ait tourné au charbon incandescent
2.Mélanger de la farine, de l’eau et du sel dans un bol
3.Bien pétrir
4.Étendre un linge sur le sol et former une grande galette plate avec la pâte, à peu près de la grosseur d’une pizza 12 pouces (mais c’est ben meilleur, je vous assure!)
5.Avec un bâton, dégager les charbons et le sable afin de former une cavité ronde peu profonde de la grosseur de la pâte
6.Y mettre la pâte (la délicatesse est ici de mise!)
7.Recouvrir la pâte du charbon et du sable
8.Attendre une bonne vingtaine de minutes
9.Quand de mini geysers apparaissent tout autour de la pâte, vérifier si la khobsa est prête en tapant sur le charbon ensablé avec un bâton
10.Si ça fait « touc touc », c’est prêt
11.Si ça ne fait pas « touc touc », c’est pas prêt, donc attendre un peu
12.Lorsque ça fait « touc touc », dégager la galette avec le bâton et la prendre avec le linge
13.Souffler puis taper sur la khobsa pour en dégager le sable et le charbon
14.Déguster et, surtout, humer!

Excellente lorsque trempée dans toute forme de stew tomatée : à l’agneau, aux lentilles, aux macaronis, à louette :.) Aussi très bonne au petit matin lorsque recouverte de Vache qui rit et trempée dans un café au lait légèrement ensablé. Et pis, faut l’admettre, le pain, ça constipe. Et dans le désert, on préfère ça à autre chose. On se comprend?

L’odeur du pain chaud, quelle qu’en soit la forme et la saveur, est sans doute l’une des odeurs les plus universellement réconfortantes qui soit. Lorsqu’un homme sent du pain, il se reconnaît lui-même, il n’a plus peur, il a le goût de sourire et de discuter avec ses compagnons, il se sent chez lui. Pour nos hôtes, qui préparent le pain dans le creux des dunes deux fois par jour, ce chez soi, c’est le Sahara tout entier. Et de ce fait, lorsque les mains rugueuses d’Edy rompaient délicatement la khobsa pour nous en offrir de généreux morceaux, on se sentait les bienvenus chez lui.

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Les serviettes rafraîchissantes

On a beau ne pas avoir trop de scrupule à ne pas se doucher pendant une semaine (beaux cheveux! on comprend là toute l’utilité du chèche ou turban sur la tête), il faut tout de même reconnaître que se débarbouiller au lever et au coucher, ça fait drôlement plaisir à l’Occidental douillet. Que faire quand y’a pas d’eau? Traîner des lingettes rafraîchissantes. En plus de contribuer à amincir la pellicule sableuse qui recouvre inlassablement notre visage, notre cou, et nos mains et, du coup, à nous faire croire, l’odeur aseptisée aidant, qu’on est tout propret, on ne se cachera pas que la lingette, fût-elle parfumée à l’aloès, à la fraîcheur printanière ou à la brise citronnée, a quelques utilités hygiéniques plus intimes, au sujet desquelles il n’est nul besoin d’insister. Mais n’empêche que, entre une douche bien chaude et une douzaine de Wet Ones gluantes parfumée à la Mandarine chypriote, je vote pour la douche. Oh que oui!

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Le feu

Que ce soit le matin, le midi ou le soir, chaque repas est obligatoirement pris autour du feu. À la nuit tombée, le crépitement du bois sec, la chaleur rougeoyante des flammes et l’odeur de la fumée blanche créent une bulle chaude dans l’immensité transie et sombre des dunes et du ciel. Manger, boire, discuter, rire et chanter assis autour du feu, en sentir la chaleur dans tous les sens du terme, et se laisser aller à jeter un coup d’oeil aveuglé dans le vide qui nous entoure, voilà des instants précieux et trop rares où j’ai pu vivre dans le présent. Pas dans le passé, où mon cerveau farfouille à longueur d’année, ni dans le futur, où mon angoisse a élu domicile fixe. Non. Dans le présent. Et ça sentait fichtrement bon.

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