Chronique saharienne II : voir le Sahara

Me revoici pour une nouvelle chronique saharienne, cela en quelque sorte, comme dirait M. Hermon, sur les traces de l’admirable méhariste et naturaliste français Théodore Monod. En effet, au cours de chacune des cinq nuits que nous avons passées dans le désert, alors que nous étions emmitouflés dans notre sac de couchage, Vincent lisait à voix haute quelques pages de Méharées, son plus célèbre livre. Or, nous avons été fascinés de constater que la description qu’offre Théodore Monod de l’environnement saharien et de la relation qu’entretenaient avec lui ceux qui y vivaient dans les années 1930 n’a pour l’essentiel pas changé (oui! le Sahara est depuis toujours un désert humanisé! le prouvent d’ailleurs les quelques silex ramassés en cours de route à même la plaine). C’est donc aussi avec beaucoup de relativisme et de modestie que nous avons considéré cette « initiation » au désert, que nous ne sommes pas les premiers ni les derniers à avoir arpenté (oh que non!) mais dont, dans nos propres vies, nous découvrions la véritable essence pour la première fois. Voici donc, dans cette chronique ainsi que dans les suivantes, mes impressions sahariennes classées en fonction des 5 sens. Aujourd’hui : la vue.

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Nos hôtes

Les deux Occidentaux pâles et novices que nous sommes ne pouvaient envisager de découvrir le Sahara seuls. Si, avec l’avènement des GPS, les gros 4X4, les criardes motocross et les agressants 4 roues (ou quads comme on dit en France) essentiellement peuplés d’Italiens, de Français, de Suisses et de Belges venus du Vieux Continent abondent désormais, les risques d’une balade dans le Sahara sont réels pour quiconque ne le connaît pas (ainsi, au cours des dernières années, quelques voyageurs égarés et en manque d’eau ont été retrouvés morts au bout de quelques jours). Le GPS, c’est bien beau, mais c’est pas infaillible, et ça ne remplace pas l’expérience de terrain. Voilà notamment pourquoi nous avons tenu à être accompagnés par des guides locaux expérimentés.

Véritables pro du désert et hommes à tout faire, Khalifa, Edy et Medani sont d’un dynamisme et d’une endurance impressionnants. On avait beau tenter de marcher à un bon rythme derrière les deux queues leu leu de dromadaires, ceux-ci, précédés de Medani et d’Edy, finissaient toujours par nous devancer de plusieurs centaines de mètres. Et une fois venu le temps de la « pause », alors que, après avoir déchargé les dromadaires et monté le camp, nous faisions parfois une petite sieste que nous croyions bien méritées, eux arpentaient les dunes alentours afin de trouver des talles de verdure pour leurs dromadaires, ramassaient du bois sec pour le feu et préparaient le repas. Nous les aidions, certes, mais leur expérience est telle que nous avions parfois l’impression de les ralentir plus qu’autre chose (même dans le coupage des légumes! Pas de planche ni de bol pour s’appuyer, c’est pas évident pour la Mme kit cuisine que je suis :.)). Et le soir, leurs silhouettes claires obscures à la lumière du feu, toute emmitouflée dans leur burnous (manteau traditionnel tunisien qui a l’air d’une cape brune avec un capuchon pointu) en poil de chameau, dégageaient une douce fierté mêlée de noblesse.

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Les dunes

Les dunes. C’est l’image même du désert. La quintessence de cet environnement sec et ondulant, qui a des airs de mer de sable (c’est cliché mais bien vrai). Les dunes, comme le désert, changeant constamment en fonction des vents et des zones où l’on se trouve. Ainsi, les grandes dunes nues, qui peuvent dépasser 200 mètres de hauteur, succèdent à des dunes moyennes ponctuées de végétation et à des dunettes, entre lesquelles l’épiderme du désert, une plaine aride et caillouteuse, peut être entrevue. Se retrouver seul au milieu des dunes, haut perché sur une hauteur depuis laquelle l’horizon entier est empli de centaines de doux bombements dorées sur lesquelles jouent l’ombre et la lumière, voilà une expérience inoubliable, presque transcendante. On se sent tout petit et tout fragile dans ce monde ô combien beau mais, aussi, ô combien dangereux pour l’étranger. Car on ne devient pas citoyen du désert, on le naît.

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Les pistes d'animaux

Au petit matin sur le sol du campement, ou pendant la journée alors que nous marchions, nous avions le bonheur de découvrir, aidés en cela par nos hôtes, tout plein de pistes laissées par les animaux qui habitent le désert à temps plein : souris, gerboises, coléoptères, scarabées, renards, fennecs, corbeaux et petits oiseaux en tout genre, gazelles, lièvres, lapins et dromadaires. Il faut aussi mentionner les terriers de fennecs, qui en étaient à la période de la mise bas lors de notre méharée. Bien que timide, la faune saharienne existe donc, mais les menaces qui pèsent sur elle sont réelles. Le prouvent les fragments de coquilles d’oeufs d’autruche qui jonchent la plaine caillouteuse (ou reg) : cette espèce est disparue du grand erg tunisien depuis plus de cinquante ans. La chasse abusive est en effet un réel problème, nous confiait Khalifa. Selon lui, plusieurs habitants des villages limitrophes, en ne chassant pas seulement pour leur consommation personnelle, mais aussi en vue de vendre leurs prises dans les villages, menacent sérieusement la survie des espèces de mammifères peuplant le Sahara. […]

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Les arbustes

Contrairement à ce que l’on s’imaginait, le désert est parsemé d’une grande variété de végétaux : petites plantes aux allures de lichens, plantes de taille moyenne au feuillage épais et robuste, arbustes, voire même arbres et, aussi, délicates fleurs. Cette vie végétale a su s’adapter à la rareté extrême de l’eau et maximiser les usages qu’elle en fait de façon à pouvoir croître, vivre et se reproduire dans le désert. Une belle leçon de rationalisation de l’énergie :.). Pour l’homme, la végétation est essentielle : elle permet aux dromadaires d’avoir de quoi mâchouiller, elle procure l’ombre, si délicieuse dans les chaleurs infernales de l’été, elle enjolive parfois les repas (c’est le cas de l’azul, qui ressemble à la ciboulette et goûte comme elle) et les breuvages (ainsi, la chieh mélangée au thé donne-t-elle une décoction aux goûts légers de mélasse) des hommes eux-mêmes, elle abrite plusieurs animaux, dont plusieurs peuvent être trappés, et lorsque, en raison d’une eau trop ingrate, elle vient à se dessécher, elle procure le combustible essentiel au démarrage et à l’alimentation du feu.

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Tembaïn

Montagne sacrée où, il y a longtemps, une jeune fille nommée Tembaïn serait morte, Tembaïn était le point mitoyen de notre méharée. Après avoir traversé un vaste plateau gris et caillouteux entouré de dunes et ponctué de petits wadis (vallées où, quand il pleut, l’eau s’écoule le temps de quelques heures), nous voilà aux abords du mont qui, du haut de ses 200 et quelques mètres, s’élève dans le désert comme un petit Ayer’s Rock saharien. Guidés par le toujours agile Khalifa, nous entreprenons son escalade par un sentier abrupt. La pierre a des allures de corail coupant, si bien qu’y mettre la main est une expérience plutôt douloureuse qu’on fait rapidement. À chaque pas, le sable s’échappe sous nos pieds, et moi qui suis la dernière de la queue, je crains parfois qu’un éboulis se produise. Pause à mi-chemin pour contempler le paysage. L’immensité, une fois de plus, mais de haut cette fois. On ne s’y fait pas. La beauté ne lasse pas. On reprend la montée. Khalifa me donne la main lorsque les points d’appui manquent. Lui, il grimpe comme s’il marchait dans la plaine. Nous voilà sur Tembaïn. Sommet rêche couvert de pierres lunaires, de petits cairns montés par les voyageurs de passage et de touffes rabougries de végétation, parmi laquelle se trouve la shieh, thé saharien. Pendant que nous contemplons le panorama, Khalifa empli le rebord de sa veste de cette plante odoriférante que nous boirons plus tard avec le thé. Après une escale de 30 minutes, nous redescendons par l’autre versant en empruntant un sentier bien marqué. Alors que nous sommes presque rendus, le grondement aigu d’un groupe de motocross se fait entendre. Ils arrivent bientôt en trombe devant Tembaïn (et devant nous), s’arrêtent, prennent quelques photos et, au bout de 3 minutes, redémarrent leurs engins et disparaissent vite fait à l’horizon. « Ces gens-là vont retourner chez eux, montrer ces photos à leurs amis et dire : « je suis allé à Tembaïn » », nous dit alors Khalifa. « Mais ils n’ont rien compris, et, surtout, ils n’ont rien vu », ajoute-t-il.

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Les dromadaires

Membres indispensable de la méharée, les dromadaires de Medani et d’Edy. Ils étaient au nombre de 5. 3 d’entre eux étaient en rut, donc devaient être constamment surveillés pour éviter qu’ils ne s’éloignent trop du campement à la première odeur de femelle venue. Les deux autres étaient de jeunes dromadaires. Le plus jeune des deux, âgé de 5 ans et pourvu d’un air et d’un physique franchement enfantins, en était à sa première année de méharée. Lui aussi, ainsi que son comparse un peu plus âgé que lui, devaient constamment être surveillés, puisqu’ils voulaient toujours se chamailler. « En ce moment, c’est pas possible avec les dromadaires », ne cessait de dire Khalifa. « On ne peut les laisser seuls, sinon ils font des bêtises ». On croirait entendre le parent d’un ado boutonneux.

Comparse de nos journées et indispensables alliés des chameliers méharistes qui en prennent un soin affectueux, les dromadaires sont des animaux posés et robustes. Ainsi n’ont-ils fait preuve d’aucun comportement agressif ou impulsif pendant la semaine, ainsi aussi n’ont-il ingurgité aucune goutte d’eau en 6 jours. Impressionnant. Lorsque je pense à nos compagnons poilus, plusieurs images me viennent en tête : leurs silhouettes allongées au creux d’une dune, la nuit, disposées comme en rond autour du camp; leur démarche débonnaire parmi les dunes; leurs visages altiers qui, dès que j’approchais avec mon appareil photo, s’élevaient inévitablement dans un lent geste de majesté; la course maladroite du plus petit qui, les pattes de devant liées lors des pauses comme ses comparses (afin qu’il ne parte pas à grande course et se perde), tentait de s’enfuir après avoir fait un mauvais coup; la langue des mâles en chaleur qui, lors des passages d’effluves femelles, sortait de leur bouche et se gonflait au son d’un gargouillis d’égout jusqu’à prendre l’allure d’une grosse gomme balloune parsemée d’écume; le coco de mon dromadaire lorsqu’il m’hébergeait derrière sa bosse et sur les bagages dont il était chargé, et celui du dromadaire derrière lui, qui n’avait cesse de tenter de le couper, en vain; le dromadaire glouton de Vincent qui, dès qu’un plant d’el-tem se profilait dans son champ de vision, s’empressait d’y arracher quelques feuilles; les dromadaires de tête de Medani et d’Edy (donc respectivement « mon » dromadaire et celui de Vincent) qui, lors d’une pause, offraient leur flanc ombragé à leurs maîtres, qui s’y adossaient l’instant d’une courte sieste.

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Le ciel

Le ciel saharien est pur. Nous avons eu la chance de le voir éclairé d’une pleine lune presque aussi brillante qu’un soleil crépusculaire, et inondé de pénombre avant un lever de lune tardif. Les étoiles, fixes comme filantes, sont alors si nombreuses, qu’on en a le vertige. Et lorsqu’on se tient près du feu, l’obscurité qui entoure notre havre éclairé est telle qu’on a le sentiment de flotter dans le néant. L’infinité du ciel saharien n’a donc d’équivalent que l’infinité de la rambla, étendue de grandes dunes plurimillénaire. Au milieu de tant d’espace, l’insignifiance et la finitude de l’espèce humaine prennent tout leur sens, ainsi que le mot humilité.

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