Un matin un petit pâtre

Nous progressons doucement en caravane étirée le long d'une ligne de crête. Les chameliers calculent le moindre effort pour les dromadaires lourdement chargés dont les empreintes profondes serpentent en courbes molles dans le sable soyeux. Les hommes chantent une chanson entraînante et l'eau clapote dans les outres au rythme du déhanchement des bêtes. Nous suivons en silence, doux rêveurs en file indienne.

Tout à coup, venant d'on ne sait où, un enfant nomade en djellaba blanche surgit littéralement entre les jambes des chameliers, surpris et amusés. Tout le monde s'arrête pour lui faire fête:
- Comment t'appelles-tu?
- Je suis le fils de Sadoc et mon père est tout là-bas avec les chamelles.
- Quel âge as-tu?
- Neuf ans.
- Et tu vas à l'école?
- Non, je garde les chèvres et les moutons. Ma mère est avec mes petites sœurs au campement. Elles ont cinq ans et trois ans.
L'enfant sourit, ravi de la distraction que notre passage lui occasionne et nous regarde avec la curiosité polie d'un petit homme.

Les chameliers expliquent qui nous sommes, d'où nous venons, où nous allons et l'enfant ponctue leurs éclaircissements de petits mouvements de tête: curieux quand même de se perdre volontairement dans ces zones si reculées. Les étrangers sont bizarres!

Dans le sac à dos de journée suspendu au bât du dromadaire de Hedi se trouvent de menus trésors au cas où se produirait le miracle d'une rencontre car l'on sait bien que les enfants sont les mêmes partout mais ici un ours en peluche, un ballon résistant aux épines, des billes, des barrettes pour les coquettes, en un mot des surprises venues d'improbables voyageurs font plaisir plus qu'ailleurs.

Le petit pâtre presse le ballon de mousse contre lui, choisit des barrettes pour ses sœurettes, remercie et s'enfuit, caché en quelques instants par les dunes.

C'est qu'il ne faut pas s'attarder longtemps: chèvres et moutons peuvent être fantasques et prendre la poudre d'escampette et le chacal, rôdeur invisible, est toujours prêt à bondir sur l'agneau isolé. Même si les journées sont bien longues dans ces étendues, quand on est le fils de Sadoc et que l'on est âgé de neuf ans, il s'agit d'être à la hauteur de ses responsabilités!

Adieu petit pâtre, adieu petit prince! Nous reprenons notre marche, mais pourquoi avons-nous tous le sourire et pourquoi notre cœur bat-il un peu plus fort ?

Paysage: 
0
Difficulté: 
0