Le retour du chameau prodigue

Cette année, notre périple doit nous mener d’El Borma à Borj el Quadra. Nous avons un guide, Ali, et quatre chameliers. Ahmed et Khalifa viennent de Douz , Brahim et Midani de Sabria. Pour nous ils ont fait équipe, pour nous ils ont marché douze jours avant d’atteindre le point de rendez-vous où le 4x4 de Tahar et Christine nous a déposés. Et yalla nemchou, en avant ; elle marche la caravane, composée de dix bipèdes légers comme l’air et de neuf quadrupèdes chargés de l’intendance.

Au matin du troisième jour, le campement s’éveille dans la fraîcheur de l’aube. Le soleil, blanc à l’horizon, a du mal à percer une épaisse couche nuageuse. Il fait bon autour du feu, près du pain qui fume encore. François, qui se lève tôt, nous rapporte alors la scène suivante, dont il a été témoin quelques minutes auparavant.

Dès leur réveil, comme à l’accoutumée, les quatre chameliers se sont préoccupés de leurs dromadaires, piquetés de près dans cette zone militaire et frontalière. Ceux-ci, baraqués, ruminaient paisiblement. Mais c’est bizarre…On dirait…Comptons.
Tu trouves combien, Brahim ?
Dix, par Allah !
Mais oui, moi aussi…Il y en a un de trop, qu’est-ce que c’est que ce petit blanc ?

Aussitôt, les quatre chameliers entourent l’inconnu, baraqué contre un chameau de Midani, mâchant sereinement des herbes sèches. Très vite, ils nouent plusieurs cordes, improvisant une longe, se placent en carré qu’ils resserrent et l’intrus, qui s’est levé d’inquiétude, se retrouve en un clin d’oeil étroitement ficelé. C’est un jeune mâle, il porte la marque des Mrazigs, complétée de la marque de Sabria, et de celle de son propriétaire. Midani et Brahim ont déjà compris : c’est le chameau de six ans qu’un de leurs voisins a perdu dans le désert il y a six mois.

Nous a-t-il vus passer, du haut d’une dune ? Le vent lui a-t-il porté le bruit et l’odeur de notre caravane ? Depuis quand s’est-il installé à la faveur de la nuit ?… Il paraît en pleine forme et tout heureux de mettre fin à son ermitage involontaire. Il croise nos yeux ébahis avec un air désinvolte, ironique, je dirais même condescendant. Air qu’il affichera tout au long du parcours.

Depuis, le jeune chameau, nous suit d’un pas allègre, inséparable du chameau de Midani qu’il a choisi comme copain. Exempté de charge, car sans bât, il savoure sa semi-liberté et, comme on le sait, quand il y a de l’avoine pour neuf, il y en a pour dix.

Nous sommes maintenant à mi- parcours, Tahar vient de nous rattraper pour un ravitaillement et pour déposer Béatrice qui va effectuer la seconde partie du périple avec nous. Le 4x4 va donc emporter la bonne nouvelle à Sabria.

Gageons que le soir du retour de la petite troupe, l’heureux propriétaire viendra à sa rencontre. On aura tué l’agneau gras. Un peu plus tard, le couscous mijotera sur le trépied. Ce sera fête sous les étoiles, avec chansons, flûte et tambourin. Les dromadaires, curieux et gourmands, tendront alors leurs cous et blatèreront en chœur à l’oreille de Brahim et Midani : « Eh…psitt…on reprendrait bien une ration de pulpe d’olive. Après tout, c’est pas tous les jours qu’on vous ramène un pote, perdu à trois cents kilomètres. »

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