Warda, Aïcha et Fatima

Vendredi 20 Février 2004.    ( 31°43'158 N ; 9°16'537 E )
 
Voilà presque deux semaines que notre petit groupe chemine, constitué de six heureux, trois chameliers chantants et onze dromadaires placides. Demain nous atteindrons le camp militaire d’El-Borma, ce sera la fin du parcours et la fête un peu triste des retrouvailles car Tahar sera là avec le 4X4 pour nous ramener vers Djerba.

Encore  quelques heures pour savourer le désert, avec toutefois un regret : cette année nous n’avons pas eu de réel contact avec les nomades. Seul un chasseur de gazelle a accompagné notre marche un matin, mais il est resté discuter avec Mohamed et Abdallah. Le temps de le saluer et il a disparu comme il avait surgi. Nous devions bien faire un détour dimanche dernier et nous rendre à un campement ; des dattes étaient d’ailleurs mises de côté pour les offrir, mais un jeune chameau a bouleversé le projet en s’échappant durant la nuit. Epris d’indépendance et en apprentissage de portage, il se tient constamment  en arrière de la caravane, refusant d’être  attaché mais acceptant sa charge. Réglo, mais sans plus…  Profitant de la nuit, il a fugué, ivre de liberté. Ah ! ces ados ! Les chameliers sont tendus. Il faut le retrouver, nous passons un long moment à scruter  l’horizon. Inch allah ! Abdallah prend une décision : Mabrouk va le chercher pendant que nous continuerons la route. Heureusement tous les deux nous rattrapent quelques heures plus tard. Tout est bien qui finit bien. Aurons-nous une autre opportunité de rencontrer des nomades ? Non. Et de fait, nous ne verrons plus que des campements saisonniers abandonnés.

Donc, ce vendredi matin, vers neuf heures, alors que nous levons le camp dans son traditionnel désordre organisé, nous n’en croyons pas nos yeux. Devant nous, la silhouette nonchalante d’un dromadaire descend  les dunes. Un homme entre deux âges le tient par une corde. Il est vêtu d’une djellabah blanche et porte des chaussures de tissu cousu à la main. Il s’arrête, échange des politesses avec les chameliers, pendant que nous, les femmes, avançons vers la jeune femme assise sur le chameau. Sa femme ? Agée de vingt-cinq ans environ, elle est enveloppée dans un voile blanc qui couvre sa tête et ses épaules. Vision biblique. De chaque côté, deux adorables brunettes intimidées- deux et trois ans peut-être- sont assises en équilibre dans de grands couffins d’osier. Nous nous approchons, sous le charme et faisons connaissance avec Werda ( Rose ), Aïcha et leur maman. A plusieurs reprises, nous entendons un drôle de petit bruit. Miaulement ? Vagissement ? Nous devons rêver. Tout à coup, la jeune femme, souriante et en confiance, dégage les tissus devant elle et nous montre, enveloppé dans ses langes et la tête couverte d’un minuscule chèche, un bébé. Un nouveau-né, à la peau claire et aux cils collés par les grains de sable. C’est FATIMA, trois jours. Nous appelons les hommes, à l’écart en train de bâter les dromadaires, et penchons tous nos têtes, bouleversés par ce petit enfant du désert, sur qui déjà sa maman replie les couvertures, oisillon à protéger dans son nid douillet.

Cet homme à pied est le père de la jeune femme ; selon la coutume, elle est venue accoucher dans sa famille et il la reconduit à son mari. Ainsi nous avons vu avant son père cette troisième petite fille que sa femme vient de lui donner. Cela nous trouble beaucoup. Chacun défait ses bagages et offre un vêtement chaud. Abdallah-Balthazar s’approche en tenant une boîte de fromage à tartiner. Eh oui, nous n’avons plus de dattes.

Ce vendredi matin, nous marchons longtemps en silence, graves, émus, remerciant le désert de nous avoir fait ce cadeau somptueux, à la toute fin de notre marche. Choukrane, mektoub, c’était écrit.

Nous te souhaitons une belle vie, petite Fatima, dans un désert que n’atteigne pas la folie des hommes. Dans quelques jours, à Noël, le souvenir de ton visage endormi se superposera à celui d’un autre enfant, né dans une crèche voilà plus de deux mille ans. Yallah,yallah, petite princesse des grands espaces.

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