Chronique saharienne VI et fin : toucher le Sahara

En guise de finale à ces impressions sensorielles du Sahara, le toucher:

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Le sable

Univers minéral, le Grand erg oriental dans lequel nous avons fait incursion est avant tout un univers de sable. Ce sable, d’une infinitésimale petitesse et d’une finesse inouïe, recouvre tout, pénètre tout, colle à tout et érode tout : la peau, les vêtements, l’intérieur des sacs, la nourriture, les cheveux, les chaussures, les couvertures, les bouteilles d’eau, les pages de carnet, les lunettes et, ce qui peut lui être fatal, l’appareil photo. Cette mer rugueuse, car Théodore Monod a bien raison de comparer le Sahara à la mer, s’approprie ainsi tout ce qui lui est extérieur.

Cette omniprésence du sable, les habitants du désert ont su en tirer avantage. Ainsi, à défaut d’eau, nous lavions nos assiettes, verres et ustensiles à même le sable. La technique permet un nettoyage parfait, à condition que ce qui reste de nourriture soit encore humide. Si c’est le cas, il suffit de plonger l’article de cuisine en question, ou même les mains, dans la dune, et de frotter en effectuant des petits mouvements circulaires. Ce qui reste de sauce, de thé ou de pulpe de fruit est alors absorbé par le sable, et au bout de quelques secondes, l’assiette est propre. Une technique tout à fait écologique, mais à déconseiller, il va sans dire, aux propriétaires de porcelaine de Limoges ou de cristal de Bohème.

Le fait que le sable ne soit pas inflammable permet également aux chameliers d’allumer des feux là où bon leur semble, ceci sans qu’il ne leur soit nécessaire d’entourer ce feu d’un cercle de pierres protectrices, tel qu’il est d’usage dans nos forêts boréales. Lorsque des cendres entourées de pierres (inutiles) sont repérés, nous pouvons donc être certains que ce ne sont pas des hommes du désert qui les ont allumés.

Les pentes douces des petites dunes tendres constituent par ailleurs d’alléchants matelas pour qui ressent le besoin, au terme du copieux repas du midi, de se payer le luxe gratuit d’une petite sieste à l’ombre d’un buisson rabougri et effeuillé. Lorsqu’il est recouvert d’une couverture, ce dernier devient alors un moelleux havre ombragé au sein duquel il est aisé de se mettre à ronfler. Cela s’applique évidemment autant aux dromadaires qu’aux hommes.

Remplis de sable et enterrés dans le sol, les sacs vides constituent d’efficaces ancres auxquels peuvent être attachés les jeunes dromadaires trop espiègles ou les mâles en rut.

Le sable volontairement ou non mélangé avec toute forme de crème, de lotion ou de liquide nettoyant, constitue en outre un exfoliant fort apprécié de l’Occidentale en mal de douche. De façon plus générale, l’air sec du désert ainsi que les propriétés « érodantes » du sable contribuent à minimiser les conséquences gênantes résultant d’une accumulation de journées sans bain ni douche (croûte de crasse, ongles noircis, pieds humides et nauséabonds ou autres effluves corporelles douteuses) et, en ce qui concerne les dromadaires qui parfois s’y roulaient avec un plaisir évident, à en faire un grattoir de choix.

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Les couvertures - Le chèche

Les couvertures

Puisque la température nocturne baissait parfois en dessous du point de congélation, il ne nous a suffi que d’une nuit pour comprendre que nos sacs de couchage 0 à -5 degrés recouverts d’une maigre couverture pour nous deux ne suffisaient pas à nous protéger de l’humidité poignante qui, vers les 2 heures du matin, pénètre les os et enserre le corps dans une froide moiteur très inconfortable. Aussi nous sommes-nous dès le 2e soir recouverts de trois couvertures de laine chacun. Bien emmitouflés dans le sac de couchage momie complètement refermé, nous pouvions sentir le rebord rugueux et ensablé des couvertures nous frotter généreusement le nez et, ainsi recroquevillés dans ce lourd amas de tricot serré fleurant bon le dromadaire vigoureux, nous nous endormions, dans mon cas, jusqu’à la prochaine envie de pipi.

Vincent a pour sa part développé dans le but de contrer l’inévitable chute des couvertures au cours de la nuit un système fort ingénieux mais, ma foi, complexe, qui consistait à littéralement farcir son sac de couchage avec les trois couvertures de laine. Inutile de dire que la dextérité requise pour réussir cette « farce », c’est-à-dire éviter la formation de mottons et ensuite parvenir à s’y insérer sans faire exploser le tout, est assez déroutante. Généralement, au bout d’une quinzaine de minutes de sparages, stepettes et autres prouesses contorsionnistes accompagnées de sacres refoulés, seule sa tête finissait par émerger de ce qui ressemblait dès lors à un gros saucisson, dans lequel il était confiné, immobile, jusqu’au lendemain matin. Exit donc dans son cas toute possibilité de pipi nocturne ou d’autres soulagements intestinaux du même acabit.

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Le chèche

Le chèche est le must de toute randonnée dans le désert. Cette bande de coton longue de 3 ou 5 mètres (plus généralement de 3), qui est vendue dans des couleurs variées mais qui semble avoir surtout la cote auprès des semi nomades en blanc, beige, vert kaki et, parfois aussi, bleu touareg, est utile à plus d’un égard. En plus de protéger contre le sable, le soleil, le froid, les mouches et le vent, le chèche permet de cacher astucieusement les cheveux devenus grassouillets au fil des jours (de là également l’avantage de porter les cheveux très courts comme nos hôtes) et, lors des grandes chaleurs, il n’est pas sans vertus rafraîchissantes.

La technique classique d’enroulement du chèche permet à ce dernier de recouvrir non seulement la tête, mais aussi la nuque, les tempes et même le cou. Si les néophytes que nous sommes avons veillé chaque matin avec un soin orthodoxe à enrouler notre chèche dans les règles de l’art (et à nous assurer de notre bonne mise tout au long de la journée en nous demandant : « mon chèche es-tu correct? » laquelle question ne pouvait aller dans mon cas sans un « j’ai-tu trop l’air d’un Conehead? », queue de cheval aidant), nous avons tôt eu fait de constater que nos hôtes, pour qui l’art du chèche n’avait plus aucun secret, faisaient montre d’une rapidité, d’une dextérité et d’une polyvalence de port incroyables. Le chèche peut en effet se porter non seulement à la saharienne, mais aussi à la bédouine, c’est-à-dire de la même manière que le kefieh, dont Yasser Arafat fut le plus célèbre ambassadeur, à l’égyptienne, soit en turban de style Aladin, ainsi qu’avec une variété de plis, de tourbillons et de retourbillons qui contribuent à donner à chacun son style personnel.

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Les dromadaires - Le soleil

Les dromadaires

Je ne tiens pas ici à souligner autant la sensation amusante accompagnant toucher du pelage rugueux et frisé des dromadaires ou la sensation humide de leurs lèvres dans la paume lorsque je leur faisait don de quelques pelures d’oranges que les conséquences légèrement handicapantes qui résultent d’un trajet prolongé sur les dos d’un de ces animaux. Ceux qui ont déjà chevauché un dromadaire seront d’accord avec moi : il s’agit là d’une expérience qui nous permet de prendre conscience de l’existence de parties de notre corps dont, jusque-là, nous ne soupçonnions pas l’existence. À force de se laisser bercer par le rythme doucement cadencé de la marche du dromadaire, et de peu à peu relâcher la raideur que nous avons tort de conserver dans le bas du dos, une sensation légèrement inconfortable, puis de plus en plus douloureusement apparaît sous les fesses. Après deux heures de ce régime, on a l’impression que deux petits os pointus vont nous sortir du derrière. Au terme de la randonnée, lorsque vient le temps de marcher à nouveau, on est, l’instant de quelques secondes, dans l’obligation de marcher comme Charlot, la canne et le costume en moins. C’est l’effet dromadaire. Il paraît que ça s’estompe avec le temps. Tout de même, fesses sensibles, s’abstenir.

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Le soleil

Le soleil saharien plombe pour de vrai. Il est sincère, direct, omniprésent. Lorsque le soleil plombe, on devient plus lourd, sa chaleur nous couvre tout entier, on le sent irradier notre peau, s’infiltrer sous notre visage, chauffer la semelle de nos chaussures. Mieux vaut alors se badigeonner de crème solaire protection 45, surtout dans le cas des teints de lait, autrement, le look écrevisse cramé vous guette dangereusement. « En été, nous confie Khalifa, le soleil est si fort qu’il est impossible de toucher le sable sans littéralement se brûler. Pour cette raison, passé le mois de mai et jusqu’à l’automne, personne ne vient dans le désert. » En ce mois de janvier, la chaleur du soleil qui plombait sur le Grand erg et ses champs de dunes était juste ce qu’il fallait d’hospitalière. Je n’ose imaginer la fournaise infernale que devient cet environnement au cours des mois de canicule. Alors, seul le scorpion et le serpent doivent se réjouir.

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Les mains de nos hôtes

Nos hôtes avaient des mains vivantes, rugueuses et vigoureuses. Des mains qui ont l’habitude d’être durement sollicitées, qui n’ont pas peur d’empoigner tout entiers un tas de bois sec, la corde d’un dromadaire de tête ou les lourdes outres de caoutchouc. Des mains qui coupent les légumes à une vitesse folle, qui préparent le thé selon une gestuelle gracieuse, qui frappent affectueusement le flanc des dromadaires et qui martèlent les pieux de la tente avec force. Des mains sans a priori, honnêtes, vraies et généreuses. En comparaison, nos petites mains pâles et frêles à l’épiderme fragile et à la force toute relative semblaient ridiculement décalées. Nos mains de citadins aseptisés étaient mal assorties au désert, mais je suppose qu’au cours de cette semaine saharienne, elles se sont, ne serait-ce qu’un tout petit peu, endurcies et, d’une certaine façon aussi, humanisées.

Il nous faudra à présent y retourner.

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