Les chroniques québécoises de Catherine & Vincent

Les chroniques de Catherine & Vincent
Tembaïn, montagne sacrée
Janvier 2007

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Chronique I

Dimanche 2 janvier. Après avoir défoncé l’année de kitschissime manière à l’hôtel Touareg de Douz, Vincent et moi sommes récupérés au petit matin par Ahmed, le chauffeur de l’agence Sahara Tunisie, cinquantenaire au traits altiers et fan incontesté d’Oum Kaltsoum qui nous avait récupérés à Tozeur deux jours plus tôt et qui porte le zéroual (pantalon bouffant à la turque traditionnellement porté par les Berbères du Sahara) avec une élégance et un aplomb tout simplement réjouissants. Ahmed est accompagné de Khalifa, qui sera notre guide pendant la semaine à venir. La soixantaine, peau cuivrée et barbe de deux jours sous le chèche, typique turban des habitants du désert, Khalifa est un petit homme dynamique au regard rieur qui connaît le Grand Erg comme le fond de sa poche. Ayant demeuré quatorze ans en France mais vivant à présent à Douz comme guide, chamelier et propriétaire d’une palmeraie, il attend de marier les derniers de ses quatre enfants pour prendre sa retraite et retourner vivre en France, un pays plus agréable selon lui.

Nous prenons donc la route en 4X4 vers notre point de départ, à savoir une zone de plateau et de petites dunes située à environ 2 heures 30 de route au sud de Douz, près du parc national du Sahara (un parc relativement nouveau et apparemment dépourvu d’animaux; les Tunisiens ne semblent pas comprendre l’utilité du projet, ni nous d’ailleurs, si ce n’est rallonger le trajet pédestre des chameliers et des voyageurs qui n’ont pas le droit d’y entrer). Là, nous sommes attendus par les deux chameliers qui nous accompagneront, Medani et Edy, ainsi que par les trois dromadaires du premier et les deux du second. Originaires du village oasien d’es-Sabria, les deux hommes sont chameliers de métiers et vraisemblablement très amis. Si le premier est plutôt extroverti et a le refrain plus que facile (ce qui m’a vraiment ravie!), le second a de petits yeux noirs timides et ricaneurs et les trois doigts partiellement amputés de sa main droite révèlent la dureté de son métier. Tous deux pères de six enfants, Medani et Edy ont sans contredit été, avec Khalifa, les responsables incontestés du succès de notre voyage, et leur rencontre ce que nous avons préféré. Leur hospitalité sincère, leur gentillesse, leur sens de l’humour, leur amour visible du désert, et leur respect de sa faune et de sa flore nous ont profondément marqués, et il m’est encore difficile d’expliquer exactement comment. Je sais seulement que, comme lors de la rencontre de nos amis Maliens, nous avons eu accès à une autre façon d’entrevoir la vie au quotidien et notre rapport au monde qui nous entoure, et cela de l’intérieur. Le fait que nous étions seuls a sans contredit aidé à l’affaire, tout comme nos quelques mots d’arabe, qui se sont démultipliés au cours de la semaine et de nos 100 kilomètres de marche grâce à mon lexique tout chiffonné de mots berbères tunisiens très utiles. Voici quelques exemples, ça pourrait vous servir un jour :.) :

  • Dougi : cloue ou enfonce; c’était l’ordre de Medani quand je devais enfoncer les pieux de la tente berbère. J’ai déduit la traduction
  • Rani : chante; là, y'a pas de doute. Mais à part avoir réussi à nous faire chanter « aani cououni chaaoani » (idée brillante de Vincent), l’ordre n’a pas donné de résultat
  • Gamera : la pleine lune
  • Leïla : quartier de lune (Comme dans la chanson : Leïla elle l’aaa toutou, toutoutoulou, toutoulou... ah non, c’est pas ça)
  • Chai bil halib : Thé avec du lait (en Égypte, c’est chai bil leben... pouvez-vous me donner une chance?)
  • Filfil : piment (c’est mignon donc facile à retenir... de toute façon, piquants comme ils sont, vous pouvez vous en passer)
  • Jamal : chameau : facile; donc Jamel Debouze = Chameau Debouze; En Égypte, c’est Gamal, donc Gamal Nasser = Chameau Nasser. Sympa!
  • Saga : froid; ben oui, y’a fait frette dans’l’desert toé chose!
  • Afiyah : feu; très efficace quand c’est « saga » le soir. Dans le désert, on allume le feu avec le bois sec ramassé près du lieu de campement. Car il y a bel et bien des arbustes et même des arbres dans le désert, et avec la sécheresse des dernières années, il y en a pas mal de tout séchés. Inutile donc de préciser que le feu pogne vite, et que comme tout le sol est en sable, on n’a pas besoin de mettre des cailloux autour.
  • Drr : enfant; Khalifa disait Drrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr! J’ai jamais vu un champion du roulement de r pareil!
  • Rambla : la dune. Pas la petite dunette derrière laquelle on nous voit quand on tente de se cacher pour faire pipi. Non. La grande dune, la vraie, de plusieurs dizaines de mètres de haut. Pas la Rambla de Barcelone donc.
  • El-tem : la plante que mangent les dromadaires; car ils ne mangent pas toutes les plantes. Mais le el-tem, oui. Tenez-le vous pour dit.
  • Ktir : beaucoup
  • Tir : oiseau
  • Sarhir : petit

Donc sarhir ktir = petit oiseau; c’est cute, hein?

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Chronique saharienne II : voir le Sahara

Me revoici pour une nouvelle chronique saharienne, cela en quelque sorte, comme dirait M. Hermon, sur les traces de l’admirable méhariste et naturaliste français Théodore Monod. En effet, au cours de chacune des cinq nuits que nous avons passées dans le désert, alors que nous étions emmitouflés dans notre sac de couchage, Vincent lisait à voix haute quelques pages de Méharées, son plus célèbre livre. Or, nous avons été fascinés de constater que la description qu’offre Théodore Monod de l’environnement saharien et de la relation qu’entretenaient avec lui ceux qui y vivaient dans les années 1930 n’a pour l’essentiel pas changé (oui! le Sahara est depuis toujours un désert humanisé! le prouvent d’ailleurs les quelques silex ramassés en cours de route à même la plaine). C’est donc aussi avec beaucoup de relativisme et de modestie que nous avons considéré cette « initiation » au désert, que nous ne sommes pas les premiers ni les derniers à avoir arpenté (oh que non!) mais dont, dans nos propres vies, nous découvrions la véritable essence pour la première fois. Voici donc, dans cette chronique ainsi que dans les suivantes, mes impressions sahariennes classées en fonction des 5 sens. Aujourd’hui : la vue.

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Nos hôtes

Les deux Occidentaux pâles et novices que nous sommes ne pouvaient envisager de découvrir le Sahara seuls. Si, avec l’avènement des GPS, les gros 4X4, les criardes motocross et les agressants 4 roues (ou quads comme on dit en France) essentiellement peuplés d’Italiens, de Français, de Suisses et de Belges venus du Vieux Continent abondent désormais, les risques d’une balade dans le Sahara sont réels pour quiconque ne le connaît pas (ainsi, au cours des dernières années, quelques voyageurs égarés et en manque d’eau ont été retrouvés morts au bout de quelques jours). Le GPS, c’est bien beau, mais c’est pas infaillible, et ça ne remplace pas l’expérience de terrain. Voilà notamment pourquoi nous avons tenu à être accompagnés par des guides locaux expérimentés.

Véritables pro du désert et hommes à tout faire, Khalifa, Edy et Medani sont d’un dynamisme et d’une endurance impressionnants. On avait beau tenter de marcher à un bon rythme derrière les deux queues leu leu de dromadaires, ceux-ci, précédés de Medani et d’Edy, finissaient toujours par nous devancer de plusieurs centaines de mètres. Et une fois venu le temps de la « pause », alors que, après avoir déchargé les dromadaires et monté le camp, nous faisions parfois une petite sieste que nous croyions bien méritées, eux arpentaient les dunes alentours afin de trouver des talles de verdure pour leurs dromadaires, ramassaient du bois sec pour le feu et préparaient le repas. Nous les aidions, certes, mais leur expérience est telle que nous avions parfois l’impression de les ralentir plus qu’autre chose (même dans le coupage des légumes! Pas de planche ni de bol pour s’appuyer, c’est pas évident pour la Mme kit cuisine que je suis :.)). Et le soir, leurs silhouettes claires obscures à la lumière du feu, toute emmitouflée dans leur burnous (manteau traditionnel tunisien qui a l’air d’une cape brune avec un capuchon pointu) en poil de chameau, dégageaient une douce fierté mêlée de noblesse.

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Les dunes

Les dunes. C’est l’image même du désert. La quintessence de cet environnement sec et ondulant, qui a des airs de mer de sable (c’est cliché mais bien vrai). Les dunes, comme le désert, changeant constamment en fonction des vents et des zones où l’on se trouve. Ainsi, les grandes dunes nues, qui peuvent dépasser 200 mètres de hauteur, succèdent à des dunes moyennes ponctuées de végétation et à des dunettes, entre lesquelles l’épiderme du désert, une plaine aride et caillouteuse, peut être entrevue. Se retrouver seul au milieu des dunes, haut perché sur une hauteur depuis laquelle l’horizon entier est empli de centaines de doux bombements dorées sur lesquelles jouent l’ombre et la lumière, voilà une expérience inoubliable, presque transcendante. On se sent tout petit et tout fragile dans ce monde ô combien beau mais, aussi, ô combien dangereux pour l’étranger. Car on ne devient pas citoyen du désert, on le naît.

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Les pistes d'animaux

Au petit matin sur le sol du campement, ou pendant la journée alors que nous marchions, nous avions le bonheur de découvrir, aidés en cela par nos hôtes, tout plein de pistes laissées par les animaux qui habitent le désert à temps plein : souris, gerboises, coléoptères, scarabées, renards, fennecs, corbeaux et petits oiseaux en tout genre, gazelles, lièvres, lapins et dromadaires. Il faut aussi mentionner les terriers de fennecs, qui en étaient à la période de la mise bas lors de notre méharée. Bien que timide, la faune saharienne existe donc, mais les menaces qui pèsent sur elle sont réelles. Le prouvent les fragments de coquilles d’oeufs d’autruche qui jonchent la plaine caillouteuse (ou reg) : cette espèce est disparue du grand erg tunisien depuis plus de cinquante ans. La chasse abusive est en effet un réel problème, nous confiait Khalifa. Selon lui, plusieurs habitants des villages limitrophes, en ne chassant pas seulement pour leur consommation personnelle, mais aussi en vue de vendre leurs prises dans les villages, menacent sérieusement la survie des espèces de mammifères peuplant le Sahara. […]

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Les arbustes

Contrairement à ce que l’on s’imaginait, le désert est parsemé d’une grande variété de végétaux : petites plantes aux allures de lichens, plantes de taille moyenne au feuillage épais et robuste, arbustes, voire même arbres et, aussi, délicates fleurs. Cette vie végétale a su s’adapter à la rareté extrême de l’eau et maximiser les usages qu’elle en fait de façon à pouvoir croître, vivre et se reproduire dans le désert. Une belle leçon de rationalisation de l’énergie :.). Pour l’homme, la végétation est essentielle : elle permet aux dromadaires d’avoir de quoi mâchouiller, elle procure l’ombre, si délicieuse dans les chaleurs infernales de l’été, elle enjolive parfois les repas (c’est le cas de l’azul, qui ressemble à la ciboulette et goûte comme elle) et les breuvages (ainsi, la chieh mélangée au thé donne-t-elle une décoction aux goûts légers de mélasse) des hommes eux-mêmes, elle abrite plusieurs animaux, dont plusieurs peuvent être trappés, et lorsque, en raison d’une eau trop ingrate, elle vient à se dessécher, elle procure le combustible essentiel au démarrage et à l’alimentation du feu.

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Tembaïn

Montagne sacrée où, il y a longtemps, une jeune fille nommée Tembaïn serait morte, Tembaïn était le point mitoyen de notre méharée. Après avoir traversé un vaste plateau gris et caillouteux entouré de dunes et ponctué de petits wadis (vallées où, quand il pleut, l’eau s’écoule le temps de quelques heures), nous voilà aux abords du mont qui, du haut de ses 200 et quelques mètres, s’élève dans le désert comme un petit Ayer’s Rock saharien. Guidés par le toujours agile Khalifa, nous entreprenons son escalade par un sentier abrupt. La pierre a des allures de corail coupant, si bien qu’y mettre la main est une expérience plutôt douloureuse qu’on fait rapidement. À chaque pas, le sable s’échappe sous nos pieds, et moi qui suis la dernière de la queue, je crains parfois qu’un éboulis se produise. Pause à mi-chemin pour contempler le paysage. L’immensité, une fois de plus, mais de haut cette fois. On ne s’y fait pas. La beauté ne lasse pas. On reprend la montée. Khalifa me donne la main lorsque les points d’appui manquent. Lui, il grimpe comme s’il marchait dans la plaine. Nous voilà sur Tembaïn. Sommet rêche couvert de pierres lunaires, de petits cairns montés par les voyageurs de passage et de touffes rabougries de végétation, parmi laquelle se trouve la shieh, thé saharien. Pendant que nous contemplons le panorama, Khalifa empli le rebord de sa veste de cette plante odoriférante que nous boirons plus tard avec le thé. Après une escale de 30 minutes, nous redescendons par l’autre versant en empruntant un sentier bien marqué. Alors que nous sommes presque rendus, le grondement aigu d’un groupe de motocross se fait entendre. Ils arrivent bientôt en trombe devant Tembaïn (et devant nous), s’arrêtent, prennent quelques photos et, au bout de 3 minutes, redémarrent leurs engins et disparaissent vite fait à l’horizon. « Ces gens-là vont retourner chez eux, montrer ces photos à leurs amis et dire : « je suis allé à Tembaïn » », nous dit alors Khalifa. « Mais ils n’ont rien compris, et, surtout, ils n’ont rien vu », ajoute-t-il.

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Les dromadaires

Membres indispensable de la méharée, les dromadaires de Medani et d’Edy. Ils étaient au nombre de 5. 3 d’entre eux étaient en rut, donc devaient être constamment surveillés pour éviter qu’ils ne s’éloignent trop du campement à la première odeur de femelle venue. Les deux autres étaient de jeunes dromadaires. Le plus jeune des deux, âgé de 5 ans et pourvu d’un air et d’un physique franchement enfantins, en était à sa première année de méharée. Lui aussi, ainsi que son comparse un peu plus âgé que lui, devaient constamment être surveillés, puisqu’ils voulaient toujours se chamailler. « En ce moment, c’est pas possible avec les dromadaires », ne cessait de dire Khalifa. « On ne peut les laisser seuls, sinon ils font des bêtises ». On croirait entendre le parent d’un ado boutonneux.

Comparse de nos journées et indispensables alliés des chameliers méharistes qui en prennent un soin affectueux, les dromadaires sont des animaux posés et robustes. Ainsi n’ont-ils fait preuve d’aucun comportement agressif ou impulsif pendant la semaine, ainsi aussi n’ont-il ingurgité aucune goutte d’eau en 6 jours. Impressionnant. Lorsque je pense à nos compagnons poilus, plusieurs images me viennent en tête : leurs silhouettes allongées au creux d’une dune, la nuit, disposées comme en rond autour du camp; leur démarche débonnaire parmi les dunes; leurs visages altiers qui, dès que j’approchais avec mon appareil photo, s’élevaient inévitablement dans un lent geste de majesté; la course maladroite du plus petit qui, les pattes de devant liées lors des pauses comme ses comparses (afin qu’il ne parte pas à grande course et se perde), tentait de s’enfuir après avoir fait un mauvais coup; la langue des mâles en chaleur qui, lors des passages d’effluves femelles, sortait de leur bouche et se gonflait au son d’un gargouillis d’égout jusqu’à prendre l’allure d’une grosse gomme balloune parsemée d’écume; le coco de mon dromadaire lorsqu’il m’hébergeait derrière sa bosse et sur les bagages dont il était chargé, et celui du dromadaire derrière lui, qui n’avait cesse de tenter de le couper, en vain; le dromadaire glouton de Vincent qui, dès qu’un plant d’el-tem se profilait dans son champ de vision, s’empressait d’y arracher quelques feuilles; les dromadaires de tête de Medani et d’Edy (donc respectivement « mon » dromadaire et celui de Vincent) qui, lors d’une pause, offraient leur flanc ombragé à leurs maîtres, qui s’y adossaient l’instant d’une courte sieste.

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Le ciel

Le ciel saharien est pur. Nous avons eu la chance de le voir éclairé d’une pleine lune presque aussi brillante qu’un soleil crépusculaire, et inondé de pénombre avant un lever de lune tardif. Les étoiles, fixes comme filantes, sont alors si nombreuses, qu’on en a le vertige. Et lorsqu’on se tient près du feu, l’obscurité qui entoure notre havre éclairé est telle qu’on a le sentiment de flotter dans le néant. L’infinité du ciel saharien n’a donc d’équivalent que l’infinité de la rambla, étendue de grandes dunes plurimillénaire. Au milieu de tant d’espace, l’insignifiance et la finitude de l’espèce humaine prennent tout leur sens, ainsi que le mot humilité.

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Chronique saharienne III : sentir le Sahara

L’air saharien

Le Sahara en lui-même ne sent pas grand chose en janvier. L’air est frais, glacial même le soir et la nuit, et bien que de petites sueurs fassent surface sur le coup de midi, la chaleur n’est pas assez intense pour attiser tout ce que compte cet univers aride en terme de potentialités nauséabondes. Cette neutralité odorante du paysage se conjugue donc avec sa douceur et son silence. L’air saharien est un délicat abrasif qui dépouille l’esprit de ce qu’il supporte habituellement en trop.

Ceci étant, nos copains dromadaires, qui étaient en rut, ont vécu une situation toute autre. Eux qui peuvent renifler une chamelle 20 kilomètres à la ronde, ils ont visiblement passé la semaine à humer de sensuelles effluves. En témoigna le concert quasi ininterrompu de borborygmes visqueux qui nous était gracieusement offert dès qu’une senteur femelle venait à croiser la trajectoire de leurs naseaux.

Si, pour les piètres senteux que nous sommes, ce Sahara ne sent pas trop, les animaux qui le traversent, dont nous faisons partie, trimballent néanmoins avec eux leur lot d’odeurs, dont les suivantes m’ont particulièrement titillé les narines.

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Les dromadaires

Lorsque mon nez pense au Sahara, il pense aux dromadaires qui, à force de trimballer de chaque côté de leur flanc tous notre attirail, ont enveloppé celui-ci de leur odeur reconnaissable entre mille, un mélange d’urine, de sueur sucrée et de cuir musqué. Au crépuscule, tout sent le dromadaire : la toile de la rugueuse tente berbère, le sable qui, parsemé de myriades de petites crottes rondes, oeuvres de nos bossus compagnons, ressemble à un immense biscuit aux pépites de chocolat, nos sacs de voyage, nos mains, les matelas de sol, les couvertures dans lesquelles nous nous emmitouflons chaque nuit et, lorsque nous nous laissons aller à l’hospitalité d’un dos bossu l’espace d’une demie journée, toute notre personne.

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Le pain ou la khobsa

Les Maures l’appellent kessera, les Tunisiens, la khobsa. Le pain saharien, dont la préparation ingénieuse a été décrite par Théodore Monod dans les années 1920 déjà, est toujours préparé de la même manière et donc, toujours aussi bon et délicieusement odorant. Voici la recette, qui, au Québec, peut être faite dans le carré de sable le plus près de chez vous (un pit de sable ferait aussi l’affaire, ainsi que la plage Germain, mais je sais pas si on a le droit... ma soeur, tu tenteras ta chance cet été et tu nous tiendras au courant) :

1.Allumer un feu de bois séché et de broussailles dans le sable et attendre que le combustible ait tourné au charbon incandescent
2.Mélanger de la farine, de l’eau et du sel dans un bol
3.Bien pétrir
4.Étendre un linge sur le sol et former une grande galette plate avec la pâte, à peu près de la grosseur d’une pizza 12 pouces (mais c’est ben meilleur, je vous assure!)
5.Avec un bâton, dégager les charbons et le sable afin de former une cavité ronde peu profonde de la grosseur de la pâte
6.Y mettre la pâte (la délicatesse est ici de mise!)
7.Recouvrir la pâte du charbon et du sable
8.Attendre une bonne vingtaine de minutes
9.Quand de mini geysers apparaissent tout autour de la pâte, vérifier si la khobsa est prête en tapant sur le charbon ensablé avec un bâton
10.Si ça fait « touc touc », c’est prêt
11.Si ça ne fait pas « touc touc », c’est pas prêt, donc attendre un peu
12.Lorsque ça fait « touc touc », dégager la galette avec le bâton et la prendre avec le linge
13.Souffler puis taper sur la khobsa pour en dégager le sable et le charbon
14.Déguster et, surtout, humer!

Excellente lorsque trempée dans toute forme de stew tomatée : à l’agneau, aux lentilles, aux macaronis, à louette :.) Aussi très bonne au petit matin lorsque recouverte de Vache qui rit et trempée dans un café au lait légèrement ensablé. Et pis, faut l’admettre, le pain, ça constipe. Et dans le désert, on préfère ça à autre chose. On se comprend?

L’odeur du pain chaud, quelle qu’en soit la forme et la saveur, est sans doute l’une des odeurs les plus universellement réconfortantes qui soit. Lorsqu’un homme sent du pain, il se reconnaît lui-même, il n’a plus peur, il a le goût de sourire et de discuter avec ses compagnons, il se sent chez lui. Pour nos hôtes, qui préparent le pain dans le creux des dunes deux fois par jour, ce chez soi, c’est le Sahara tout entier. Et de ce fait, lorsque les mains rugueuses d’Edy rompaient délicatement la khobsa pour nous en offrir de généreux morceaux, on se sentait les bienvenus chez lui.

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Les serviettes rafraîchissantes

On a beau ne pas avoir trop de scrupule à ne pas se doucher pendant une semaine (beaux cheveux! on comprend là toute l’utilité du chèche ou turban sur la tête), il faut tout de même reconnaître que se débarbouiller au lever et au coucher, ça fait drôlement plaisir à l’Occidental douillet. Que faire quand y’a pas d’eau? Traîner des lingettes rafraîchissantes. En plus de contribuer à amincir la pellicule sableuse qui recouvre inlassablement notre visage, notre cou, et nos mains et, du coup, à nous faire croire, l’odeur aseptisée aidant, qu’on est tout propret, on ne se cachera pas que la lingette, fût-elle parfumée à l’aloès, à la fraîcheur printanière ou à la brise citronnée, a quelques utilités hygiéniques plus intimes, au sujet desquelles il n’est nul besoin d’insister. Mais n’empêche que, entre une douche bien chaude et une douzaine de Wet Ones gluantes parfumée à la Mandarine chypriote, je vote pour la douche. Oh que oui!

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Le feu

Que ce soit le matin, le midi ou le soir, chaque repas est obligatoirement pris autour du feu. À la nuit tombée, le crépitement du bois sec, la chaleur rougeoyante des flammes et l’odeur de la fumée blanche créent une bulle chaude dans l’immensité transie et sombre des dunes et du ciel. Manger, boire, discuter, rire et chanter assis autour du feu, en sentir la chaleur dans tous les sens du terme, et se laisser aller à jeter un coup d’oeil aveuglé dans le vide qui nous entoure, voilà des instants précieux et trop rares où j’ai pu vivre dans le présent. Pas dans le passé, où mon cerveau farfouille à longueur d’année, ni dans le futur, où mon angoisse a élu domicile fixe. Non. Dans le présent. Et ça sentait fichtrement bon.

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Chronique saharienne IV : goûter le Sahara

Vincent et moi sommes unanimes. Les meilleurs repas que nous avons mangés en Tunisie, nous les avons mangés dans le désert. Cela vient certes du talent de cuistot de nos hôtes qui, véritables hommes orchestres, manient aussi bien le bâton de chamelier que le couteau à légumes. Mais cela vient sans doute aussi du fait que manger, ce n’est pas tant mastiquer et avaler des aliments que les préparer et, surtout, les partager à plusieurs. Un bon repas n’est jamais un repas en solitaire. Partout et de tous temps, manger constitue l’un des actes sociaux les plus fondamentaux qui soit. Et partager un repas au milieu du Sahara en compagnie de Khalifa, Medani et Edy a sans doute été notre incursion la plus intime dans les univers tunisien et saharien. Voici donc quelques saveurs sahariennes :

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Les ragoûts - Le sable

Les ragoûts

C’est simple mais ô combien efficace. Un mélange d’agneau ou de légumineuses, de sauce tomate et de légumes (tomates, poivrons, oignons, carottes, navets) auquel on ajoute l’huile d’olive et l’indispensable harissa (sauce piquante au piment rouge) et, au choix, des macaronis (macarouni), du couscous (couscous) ou du riz (rouz). On met le tout dans une casserole, on place la casserole sur un tripode au-dessus du feu, et on laisse cuire doucement pendant 45 minutes, en brassant de temps en temps. C’est tout chaud, c’est parfumé, c’est goûteux et pas mal épicé et, lorsqu’on y laisse ramollir quelques morceaux de khobsa, c’est tout simplement divin.

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Le sable

C’est pas que les habitants du Sahara aiment manger le sable. C’est juste que, tout insidieux et omniprésent qu’il est, le sable est l’ingrédient parasite de tout met saharien : sur la khobsa, dans le ragoût, au fond des verres de thé et de café, au sein des dattes, sur le goulot de la bouteille d’eau. Le sable se faufile dans tout interstice, fût-il comestible ou non. Et quand on le croque, on le reconnaît. Ce petit torieux crépite entre les molaires et empli notre crâne de « kroush kroush kroush » assourdissants. Du coup, on se sent comme les petits oiseaux qui, puisqu’ils n’ont pas de dents, ont un estomac rempli de minuscules cailloux destinés à mâcher la nourriture. Du sable contre les troubles digestifs? Faudrait faire une étude là-dessus.

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Les dattes - La Vache qui rit

Les dattes

Pour notre plus grand bonheur, notre séjour en Tunisie a coïncidé avec la fin de la saison des dattes. Notre guide Khalifa, qui possède une petite palmeraie à Douz, a donc apporté un gros sac de ces précieux fruits. Les dattes de Douz, à la fois translucides et juste ce qu’il faut de sucré, sont les plus réputées de Tunisie. Depuis des siècles, les hommes du désert traînent ces petits fruits sombres et nutritifs dans leur besace et, lorsque l’eau, les vivres et le bois nécessaires au feu se font rares, il n’y a rien de tel qu’une poignée de dattes fraîches ou sèches pour faire le bonheur de son homme et taire un estomac criard. Quant aux noyaux, ils sont broyés et offerts aux dromadaires, qui en raffolent (comme du reste des pelures d’orange).

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La Vache qui rit

Le fromage La Vache qui rit est devenu l’incontournable du petit déjeuner partout au Proche-Orient. De la Syrie au Maroc en passant par la Jordanie, l’Égypte et la Tunisie, ces petites pointes de fromage mou qui ont l’avantage de pouvoir être conservées à température ambiante sont systématiquement servies dans les petits hôtels avec le pain, fût-il pita, baguette ou galette. Notre séjour dans le désert n’a pas sonné le glas de cette tradition toute arabe, si bien que chaque matin, ma khobsa fut recouverte de cette molle substance, que j’ai tout de même de la difficulté à appeler fromage. C’est donc dire que La Vache qui rit a remplacé les fromages au lait de brebis ou de dromadaire hyper compacts, secs et durs décrits par Théodore Monod dans les années 1920-1930. La mondialisation gagne donc aussi le méhariste, qu’il le veuille ou non, ceci avec ce qu’elle a de mieux (le sac de couchage momie) mais, aussi, de pire (La Vache qui rit).

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Les petits biscuits secs - Le thé

Les petits biscuits secs

Nos petites pauses repos du milieu de l’avant-midi étaient agrémentées par l’ingestion, entre deux gorgées d’eau iodée au pas possible (question de protéger nos estomac potentiellement sensibles, nous ajoutions des pastilles purificatrices à notre eau, qui prenait dès lors un goût d’eau... de javel... beurk), de biscuits secs à garniture de chocolat. Vendus en petits cylindres enrobés d’un emballage plastifié, ces biscuits ronds et pas spécifiquement goûteux se retrouvent dans toutes les petites épiceries et dans tous les petits stands de gare de la Tunisie. Leur apparition dans les mains de Medani ou d’Edy faisait la joie non seulement de nos hôtes et de nous-mêmes, mais aussi de nos compagnons bossus, qui avaient eux aussi droit à leur part du rouleau.

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Le thé

C’est le must saharien. Comme au Mali, de l’autre côté du Sahara, le thé se prépare dans une minuscule théière en céramique bleue, à même les charbons. Comme au Mali, on doit en boire trois : un amer, un doux puis un sucré. Et comme au Mali, on n’est jamais pressé de prendre son thé, et on le prépare avec grand soin, conformément à un rituel gestuel pluriséculaire qui semble accompli inconsciemment par nos hôtes. Le thé saharien, ce n’est pas le délicat thé vert en pochettes bien à la mode par chez nous ces temps-ci, ni l’épais et opaque thé japonais, ni le laiteux thé anglais, ni le thé à la menthe et aux pignons servi sur les terrasses de la Méditerranéenne Tunis. Le thé saharien, il est tout petit mais ô combien gaillard, servi dans un minuscule verre hexagonal, hyper chaud mais pourtant avalé en moins de deux. Aime, aime pas, si on t’en offre, tu dis « shoukran » et tu le bois. Et une fois l’arrière goût passé, une fois le gargoton bien enrobé et la langue ébouillantée, tu te sentiras instantanément revigoré.

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Chronique saharienne V : entendre le Sahara

Entendez-vous ce que j’entends?

Les conversations

Avant de partir en méharée, Vincent et moi nous imaginions les habitués du Sahara comme des hommes concis et méditatifs, des ascètes de la parole en quelque sorte, qui en raison même de la vie dans le désert s’était départis du besoin qu’ont tant de citadins, à commencer par moi, de parler.

Et bien nous avions tout faux.

Vraiment tout faux.

Si vous saviez.

Jamais nous n’avions auparavant été mis en présence de personnes à la parole si inspirée. On n’a certes pas compris l’essentiel des conversations de Khalifa, Medani et Edy, mais une chose est certaine : nous les avons entendues! Du matin au soir, nos hôtes discutaient sans arrêt. Sans arrêt! Les seuls moments où ils ne parlaient pas correspondaient aux moments où ils étaient seuls ou aux heures de sieste et de sommeil. Autrement, l’air saharien était empli d’un flot ininterrompu et animé de paroles. Loin d’être irrités par cette jasette contagieuse, nous prenions plaisir à tenter, en vain il va sans dire, de deviner le sujet de tant de débats, de gesticulations et de mots. Car à certains moments, soit plus particulièrement lorsqu’ils parlaient tous en même temps, il nous semblait que nos amis parlaient presque malgré eux, comme, finalement, pour emplir l’assourdissant silence du désert de leur présence toute humaine, toute sociale.

Moi qui croyais avoir une grande gueule, voilà que j’ai trouvé mon Waterloo au milieu des dunes. Qui l’eût cru?

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Le vent

Heureusement pour nous, le vent de la tempête, celui qui balaie le désert et le soulève tout entier dans les airs, n’a pas soufflé pendant notre séjour saharien. Le temps des tempêtes, des dires de Khalifa, débute à la mi-mars et dure jusqu’en mai. Alors, on prie pour être épargné, et si ce n’est pas le cas, « c’est le bordel, mais vraiment le bordel », confesse notre guide.

Le vent auquel nous avons eu droit en ce début de janvier était juste ce qu’il faut de rafraîchissant. Une petite brise hivernale gaie, un souffle sourd mais retenu qui, au cours de la deuxième journée, nous a accompagnés sans relâche, m’obligeant même à conserver mon polar, mais qui, autrement, fit montre d’une tiède timidité. Le murmure du vent qui effleure le sable, tournoie lentement en s’élevant jusqu’à nos oreilles et nous gratifie de son « ououou » grave et profond ne heurte ici aucun obstacle apte à ralentir son cours, si ce n’est nos pauvres appareils photo qu’il vaut alors mieux emmailloter dans un puis un autre sac hermétique.

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Les refrains de Medani - Le bindir et la gasbayah

Les refrains de Medani

Lors des quelques heures que j’ai passées sur le dos du dromadaire de tête de Medani, ce dernier, qui ouvrait la marche devant nous armé de son bâton de marche bien appuyé sur ses épaules, ne pouvait se retenir de chanter. Medani aime chanter. Ça s’entend. Et réciproquement, nous aimions l’écouter fredonner ces airs sahariens de sa voix puissante et enjouée. Medani chante des chansons qui parlent de héros légendaires, d’amours et de mariages, de la lune et du feu. Parfois aussi, il improvisait un air sur le thème de notre journée et, sublimant en paroles rythmées notre quotidien, ne manquait pas de faire rire Edy et Khalifa. « Mabrouk! » (« bravo! »), ne pouvais-je alors m’empêcher de lui dire du haut de ma monture, et cela le faisait inévitablement rire.

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Le bindir et la gasbayah

En plus de posséder une belle voix, Medani est aussi musicien, tout comme son compagnon Edy. Au cours de quelques soirées, alors que nous étions repus et que la chaleur du feu nous abandonnait tout entiers à la paresse, nos hôtes sahariens nous ont ainsi offert de petits concerts improvisés à la fois rythmés, souriants et émouvants.

Medani manie en percussionniste expérimenté son bindir, un tambourin plat large d’environ 35 cm recouvert de peau qu’il a lui-même fabriqué et dont il prend grand soin. Accompagnant de rythmes changeants mais toujours dansants ses airs sahariens, il a pour choriste Edy qui, de sa voix agréablement nasillarde, fait office de choeur inspiré (le hit de la semaine? “Sidi Mansour”, dont nous connaissions quelques paroles). Et lorsqu’une chanson se termine, Edy empoigne parfois sa gasbayah, une flûte de métal qui ressemble à la fois à une flûte à bec sans bec et à une flûte traversière (et de laquelle nous n’avons jamais réussi à faire sortir un seul son, pas même un pfiiiit! faux) et emplit la nuit silencieuse d’un souffle chaud, doux et calme. Cette musique saharienne est sans doute la plus divine merveille que le désert a inspirée aux hommes.

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Les oiseaux - Les glouglous des dromadaires - Les mouches

Les oiseaux

Il y a des oiseaux dans le Sahara ! De petits oiseaux semblables à des moineaux, d’autres au plumage coloré qui ont des airs de pie, des gros corbeaux aussi qui se tiennent à proximité des campements humains où ils s’alimentent à même les restes comestibles.

Lorsque, assis entre deux dunes, au coeur d’un horizon sans limite où ne résonne, à part nos paroles, que le son du vent et le bruit des dromadaires, nous entendons le chant cristallin d’un oiseau résonner, alors notre coeur s’emplit de joie. De la même façon que les oiseaux indiquent aux marins la proximité de la terre, la présence d’oiseaux dans l’erg nous rappelle que cet univers en apparence si hostile est bel et bien un terreau de vie, et que nous n’y sommes pas seuls.

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Les glouglous des dromadaires

Nos comparses en rut n’ont cessé de ponctuer notre semaine de leurs glouglous gluants et profonds, qui semblaient provenir du tréfonds de leurs entrailles. La moindre effluve femelle engendre ce bruit étrange, ainsi que le gonflement de la langue, chez tout mâle qui la sent. Surpris au début, inquiets même la première fois que ce bruit surprenant s’est fait entendre, nous nous sommes rapidement habitués à ce concert apparemment érotique qui, repris en décalage par chacun des 3 mâles adultes qui nous accompagnaient, ressemblait parfois à un canon de Pachelbel surréaliste.

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Les mouches

Lorsque le vent se tait et que le soleil plombe, les mouches emplissent l’air de leur bourdonnement sonore et agressant. Elles virevoltent autour de nos têtes, atterrissent parfois sur nos lèvres et nos vêtements, s’agglutinent sur les naseaux des dromadaires, leur faisant parfois perdre patience, et s’agrippent férocement à tout morceau de nourriture. « L’été, nous dit Khalifa, lorsqu’une certaine plante entame sa floraison, les oeufs de mouches pondus au creux des fleurs éclosent. Il y a alors des mouches partout. C’est pas possible. Ça rend les dromadaires fous, et nous aussi ». Voilà une autre bonne raison de venir au Sahara en hiver. Un chapelet de mouches à merde collé à notre chandail humide, ça s’endure, mais des millions de « bzzzzzzzzzzzzzzzz » incessants dans mes oreilles, très peu pour moi.

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Le silence

La plus belle voix du désert, c’est celle du silence

Lorsque nos joyeux moulins à paroles d’hôtes se taisaient de concert, que les dromadaires s’assoupissaient et que, las, nous n’avions plus rien à dire, alors le silence du désert emplissait nos oreilles de toute sa puissance. Le silence, le vrai, ça s’entend. C’est fort. Ça bouche les oreilles, leur fait presque mal. Et quand ce silence œuvre au creux d’un vaste plateau de dunes, que même l’horizon a peine à embrasser, alors on devient comme intimidé d’être là et on se sent coupable de l’avoir l’instant d’auparavant balafré de nos paroles et de nos gestes bruyants. Le grand silence nous rappelle notre petitesse.

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Chronique saharienne VI et fin : toucher le Sahara

En guise de finale à ces impressions sensorielles du Sahara, le toucher:

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Le sable

Univers minéral, le Grand erg oriental dans lequel nous avons fait incursion est avant tout un univers de sable. Ce sable, d’une infinitésimale petitesse et d’une finesse inouïe, recouvre tout, pénètre tout, colle à tout et érode tout : la peau, les vêtements, l’intérieur des sacs, la nourriture, les cheveux, les chaussures, les couvertures, les bouteilles d’eau, les pages de carnet, les lunettes et, ce qui peut lui être fatal, l’appareil photo. Cette mer rugueuse, car Théodore Monod a bien raison de comparer le Sahara à la mer, s’approprie ainsi tout ce qui lui est extérieur.

Cette omniprésence du sable, les habitants du désert ont su en tirer avantage. Ainsi, à défaut d’eau, nous lavions nos assiettes, verres et ustensiles à même le sable. La technique permet un nettoyage parfait, à condition que ce qui reste de nourriture soit encore humide. Si c’est le cas, il suffit de plonger l’article de cuisine en question, ou même les mains, dans la dune, et de frotter en effectuant des petits mouvements circulaires. Ce qui reste de sauce, de thé ou de pulpe de fruit est alors absorbé par le sable, et au bout de quelques secondes, l’assiette est propre. Une technique tout à fait écologique, mais à déconseiller, il va sans dire, aux propriétaires de porcelaine de Limoges ou de cristal de Bohème.

Le fait que le sable ne soit pas inflammable permet également aux chameliers d’allumer des feux là où bon leur semble, ceci sans qu’il ne leur soit nécessaire d’entourer ce feu d’un cercle de pierres protectrices, tel qu’il est d’usage dans nos forêts boréales. Lorsque des cendres entourées de pierres (inutiles) sont repérés, nous pouvons donc être certains que ce ne sont pas des hommes du désert qui les ont allumés.

Les pentes douces des petites dunes tendres constituent par ailleurs d’alléchants matelas pour qui ressent le besoin, au terme du copieux repas du midi, de se payer le luxe gratuit d’une petite sieste à l’ombre d’un buisson rabougri et effeuillé. Lorsqu’il est recouvert d’une couverture, ce dernier devient alors un moelleux havre ombragé au sein duquel il est aisé de se mettre à ronfler. Cela s’applique évidemment autant aux dromadaires qu’aux hommes.

Remplis de sable et enterrés dans le sol, les sacs vides constituent d’efficaces ancres auxquels peuvent être attachés les jeunes dromadaires trop espiègles ou les mâles en rut.

Le sable volontairement ou non mélangé avec toute forme de crème, de lotion ou de liquide nettoyant, constitue en outre un exfoliant fort apprécié de l’Occidentale en mal de douche. De façon plus générale, l’air sec du désert ainsi que les propriétés « érodantes » du sable contribuent à minimiser les conséquences gênantes résultant d’une accumulation de journées sans bain ni douche (croûte de crasse, ongles noircis, pieds humides et nauséabonds ou autres effluves corporelles douteuses) et, en ce qui concerne les dromadaires qui parfois s’y roulaient avec un plaisir évident, à en faire un grattoir de choix.

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Les couvertures - Le chèche

Les couvertures

Puisque la température nocturne baissait parfois en dessous du point de congélation, il ne nous a suffi que d’une nuit pour comprendre que nos sacs de couchage 0 à -5 degrés recouverts d’une maigre couverture pour nous deux ne suffisaient pas à nous protéger de l’humidité poignante qui, vers les 2 heures du matin, pénètre les os et enserre le corps dans une froide moiteur très inconfortable. Aussi nous sommes-nous dès le 2e soir recouverts de trois couvertures de laine chacun. Bien emmitouflés dans le sac de couchage momie complètement refermé, nous pouvions sentir le rebord rugueux et ensablé des couvertures nous frotter généreusement le nez et, ainsi recroquevillés dans ce lourd amas de tricot serré fleurant bon le dromadaire vigoureux, nous nous endormions, dans mon cas, jusqu’à la prochaine envie de pipi.

Vincent a pour sa part développé dans le but de contrer l’inévitable chute des couvertures au cours de la nuit un système fort ingénieux mais, ma foi, complexe, qui consistait à littéralement farcir son sac de couchage avec les trois couvertures de laine. Inutile de dire que la dextérité requise pour réussir cette « farce », c’est-à-dire éviter la formation de mottons et ensuite parvenir à s’y insérer sans faire exploser le tout, est assez déroutante. Généralement, au bout d’une quinzaine de minutes de sparages, stepettes et autres prouesses contorsionnistes accompagnées de sacres refoulés, seule sa tête finissait par émerger de ce qui ressemblait dès lors à un gros saucisson, dans lequel il était confiné, immobile, jusqu’au lendemain matin. Exit donc dans son cas toute possibilité de pipi nocturne ou d’autres soulagements intestinaux du même acabit.

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Le chèche

Le chèche est le must de toute randonnée dans le désert. Cette bande de coton longue de 3 ou 5 mètres (plus généralement de 3), qui est vendue dans des couleurs variées mais qui semble avoir surtout la cote auprès des semi nomades en blanc, beige, vert kaki et, parfois aussi, bleu touareg, est utile à plus d’un égard. En plus de protéger contre le sable, le soleil, le froid, les mouches et le vent, le chèche permet de cacher astucieusement les cheveux devenus grassouillets au fil des jours (de là également l’avantage de porter les cheveux très courts comme nos hôtes) et, lors des grandes chaleurs, il n’est pas sans vertus rafraîchissantes.

La technique classique d’enroulement du chèche permet à ce dernier de recouvrir non seulement la tête, mais aussi la nuque, les tempes et même le cou. Si les néophytes que nous sommes avons veillé chaque matin avec un soin orthodoxe à enrouler notre chèche dans les règles de l’art (et à nous assurer de notre bonne mise tout au long de la journée en nous demandant : « mon chèche es-tu correct? » laquelle question ne pouvait aller dans mon cas sans un « j’ai-tu trop l’air d’un Conehead? », queue de cheval aidant), nous avons tôt eu fait de constater que nos hôtes, pour qui l’art du chèche n’avait plus aucun secret, faisaient montre d’une rapidité, d’une dextérité et d’une polyvalence de port incroyables. Le chèche peut en effet se porter non seulement à la saharienne, mais aussi à la bédouine, c’est-à-dire de la même manière que le kefieh, dont Yasser Arafat fut le plus célèbre ambassadeur, à l’égyptienne, soit en turban de style Aladin, ainsi qu’avec une variété de plis, de tourbillons et de retourbillons qui contribuent à donner à chacun son style personnel.

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Les dromadaires - Le soleil

Les dromadaires

Je ne tiens pas ici à souligner autant la sensation amusante accompagnant toucher du pelage rugueux et frisé des dromadaires ou la sensation humide de leurs lèvres dans la paume lorsque je leur faisait don de quelques pelures d’oranges que les conséquences légèrement handicapantes qui résultent d’un trajet prolongé sur les dos d’un de ces animaux. Ceux qui ont déjà chevauché un dromadaire seront d’accord avec moi : il s’agit là d’une expérience qui nous permet de prendre conscience de l’existence de parties de notre corps dont, jusque-là, nous ne soupçonnions pas l’existence. À force de se laisser bercer par le rythme doucement cadencé de la marche du dromadaire, et de peu à peu relâcher la raideur que nous avons tort de conserver dans le bas du dos, une sensation légèrement inconfortable, puis de plus en plus douloureusement apparaît sous les fesses. Après deux heures de ce régime, on a l’impression que deux petits os pointus vont nous sortir du derrière. Au terme de la randonnée, lorsque vient le temps de marcher à nouveau, on est, l’instant de quelques secondes, dans l’obligation de marcher comme Charlot, la canne et le costume en moins. C’est l’effet dromadaire. Il paraît que ça s’estompe avec le temps. Tout de même, fesses sensibles, s’abstenir.

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Le soleil

Le soleil saharien plombe pour de vrai. Il est sincère, direct, omniprésent. Lorsque le soleil plombe, on devient plus lourd, sa chaleur nous couvre tout entier, on le sent irradier notre peau, s’infiltrer sous notre visage, chauffer la semelle de nos chaussures. Mieux vaut alors se badigeonner de crème solaire protection 45, surtout dans le cas des teints de lait, autrement, le look écrevisse cramé vous guette dangereusement. « En été, nous confie Khalifa, le soleil est si fort qu’il est impossible de toucher le sable sans littéralement se brûler. Pour cette raison, passé le mois de mai et jusqu’à l’automne, personne ne vient dans le désert. » En ce mois de janvier, la chaleur du soleil qui plombait sur le Grand erg et ses champs de dunes était juste ce qu’il fallait d’hospitalière. Je n’ose imaginer la fournaise infernale que devient cet environnement au cours des mois de canicule. Alors, seul le scorpion et le serpent doivent se réjouir.

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Les mains de nos hôtes

Nos hôtes avaient des mains vivantes, rugueuses et vigoureuses. Des mains qui ont l’habitude d’être durement sollicitées, qui n’ont pas peur d’empoigner tout entiers un tas de bois sec, la corde d’un dromadaire de tête ou les lourdes outres de caoutchouc. Des mains qui coupent les légumes à une vitesse folle, qui préparent le thé selon une gestuelle gracieuse, qui frappent affectueusement le flanc des dromadaires et qui martèlent les pieux de la tente avec force. Des mains sans a priori, honnêtes, vraies et généreuses. En comparaison, nos petites mains pâles et frêles à l’épiderme fragile et à la force toute relative semblaient ridiculement décalées. Nos mains de citadins aseptisés étaient mal assorties au désert, mais je suppose qu’au cours de cette semaine saharienne, elles se sont, ne serait-ce qu’un tout petit peu, endurcies et, d’une certaine façon aussi, humanisées.

Il nous faudra à présent y retourner.

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